En quatrième de couverture, Emmanuèle Jawad précise qu’il ne s’agit ni d’un « journal » ni d’un « texte documentaire ». On peut ne pas souscrire à ces deux assertions, mais elles délimitent pourtant bien le projet qui est le sien depuis Faire le mur (2015) et En vigilance extérieure (2016), opus qui soulevaient déjà la question d’une inadéquation, ou d’un hiatus, entre le dispositif voulu d’un projet d’écriture et la façon dont il se confronte à des questions directement politiques. [Carnets de murs] n’y échappe pas, puisque son sujet se déploie à partir d’un savoir lu (journaux, documents, etc.) ou vu (à travers la photographie) de toutes techniques aujourd’hui mises en œuvre pour cloisonner des territoires et faire frontières : check-point, barrages, appareils de filtration, contrôles, scannages, tout y fait murs. Emmanuèle Jawad en élabore conséquemment une forme poétique, traversée par la question de la séparation et celle de « la photographie ». La littéralité de relevés quasi topographiques (« 1998 Ceuta Melilla Espagne/Maroc 1953 Corée du Sud/Corée du Nord 248 km 1974 République Turque de Chypre du nord/République de Chypre 1975 Afrique du Sud/Mozambique 120 km 1991 Koweït/Irak » ) est mise à l’épreuve par la recherche d’une phrase critique, trouée, souvent agrammaticale, et parsemée d’élisions : « une numérotation d’une série photographique/ l’effacement de face dos des immeubles les/ terrasses d’outre par mer les connexions signalent/ le rapprochement un blanc opaque occulte/ les contours des digues (…) ».
Cette basse continue œuvre au chas du livre entier, c’est elle qui donne à voir un point de vue et toute une photographie des ségrégations territoriales : « l’appareil enregistre la photographie en train de se/ faire la lentille pénètre à l’intérieur de l’appareil le/ corps de l’appareil enveloppe la lentille repasse à/ travers passe de l’autre côté ». Se forme alors un « répertoire de photographies blanches », et dans cette surexposition un impossible comme un excès à voir pénètrent le corps de l’écriture.
Emmanuel Laugier
[Carnets de murs]
Emmanuèle Jawad
Lanskine, 56 pages, 12 €
Poésie [Carnets de murs] d’Emmanuèle Jawad
janvier 2019 | Le Matricule des Anges n°199
| par
Emmanuel Laugier
Un livre
[Carnets de murs] d’Emmanuèle Jawad
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°199
, janvier 2019.