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Poésie État civil

juillet 2019 | Le Matricule des Anges n°205 | par Emmanuel Laugier

Avec Guerre et paix sans je, Sabine Macher poursuit ses variations narratives comme autant de focales ajourent des pans inaperçus de vie.

Guerre et paix sans je

Un temps à se jeter (1995) pourrait être le titre générique de tous les livres de Sabine Macher. Il faut compter le risque et l’audace que cela suppose de faire ainsi d’une telle implication sa méthode générale d’écriture et celle de consignation d’une vie, la sienne, comme celles de tous et de toutes. Ce ne serait rien dire de l’écriture de Sabine Macher que d’en parler comme une chose singulière. Ou trop peu, tant, l’air de ne pas y toucher, de ne pas fondre (sur elle-même), opère en elle la bonne distance entre ne pas trop dire et ne pas trop faire. Tout le pathos dont ses livres se rempliraient immanquablement est ainsi éloigné.
Avec guerre et paix sans je, le titre le précisant d’emblée, la première personne du singulier est évacuée, mais la situation descriptive des sujets le plonge jusqu’à le dissoudre dans une immense trame de phrases où, de « père » à « mère », de « tu » à « nous », du « on » au « ils », se déclineront, en temps et mode divers. Les saccades de guerre et de paix (furieuse, à fleur de peau) étant comme reportées dans le jeu d’enfants jetés au cœur de la petite et de la grande famille allemande, privée et sociale, toujours pleine l’une et l’autre des mécanismes de névroses, de mensonges, de difficultés patentes d’y trouver une place juste. Écoutons, regardons, imprimé en style « courrier news », l’une des inflexions qui fixe et commande sa façon d’exposer toute sorte d’événements, du plus banal à quelque chose d’énigmatiquement glissé dans la phrase : « les gâteaux, c’est volé, le goût arrive dans la bouche comme un poing même si tu n’as jamais encore eu de poing dans la bouche. quelque chose d’extérieur est d’un coup dedans. la forme d’une barque en pâte sablée avec deux boudins de pâte, l’un court de la proue à la poupe et l’autre de bâbord à tribord, ils se croisent au milieu. (…) le liquide d’avant-hier, parfumé au gingembre-citron rappelle le cointreau avec lequel l’oncle vous saoûle pour mettre son sexe fripée dans ta bouche trente ans auparavant. (…) il ne faut jamais toucher la merde alors que l’urine est un liquide qui peut venir sur les doigts ou couler à l’intérieur des cuisses ». Was ist das Problem ? sinon qu’il ne faut pas le faire disparaître (le problème), mais le suivre à la trace, comme des lampes fluorescentes balisent la piste de l’aéroport dans le livre de Michelle Grangaud, État civil. Ou comme ce liquide bu au début du livre permettra au chirurgien de suivre les méandres de votre intestin et d’en visionner l’état. Le phrasé de Sabine Macher emporte sans concession vers les bords d’un fleuve intranquille, suintant de douleurs bues, de couleuvres avalées où parfois en sortent des révoltes enfantines. Il faut être libre comme certaines écrivaines le sont (pensons à Duras ou Hélène Bessette, Cécile Mainardi ou Liliane Giraudon) pour trouver l’équilibre d’écriture à un livre fait de milliers de phrases désaxées, toutes ouvertes à leur devenir défaillant, à leur impureté, à leur déceptivité. Sabine Macher l’est et depuis ses premiers livres s’y risque. Comme dans Himmel und erde (2005) où deux fois une seule phrase écrite en rythme coupé consigne le courant par quoi mémoires et présents s’enchâssent : « je dois vider une maison vide/et pour mettre ça où/je vais tout jeter dans un ravin/je serai la ravine/ celle qui l’approche/celle qui s’en écarte/ il n’y a pas de constat/il y a mon œil qui ne voit pas bien parce que la paupière a gonflé pendant la nuit/je ne sais pas pourquoi/sauf que c’est interne/les moustiques sont en Allemagne  ». Ou comme dans Un temps à se jeter, dont le tressage des phrases travaille à l’atonie générale de chaque phrase : « je sens la raideur/poussiéreuse du couvre-lit. je m’enroule dans mon tissu japonais avant, il est bleu ouvrier avec des fils blancs tissés en une sorte de damier  ».
Guerre et paix sans je où parfois d’étroits rectangles enserrent des mots allemands « was sein wird », ce qui va arriver arrive, d’atonalité à détonalité, le phrasé penche à 180° : « dans le vert de la fin de l’été, maintenant premier septembre, l’herbe est encore plus verte. il suffit de perdre un kilo par jour et le père meurt ». Voilà la vitesse et l’affront, le courant de l’insolence, de la pudeur et de la crudité d’un livre vrai de littérature d’aujourd’hui.

Emmanuel Laugier

Guerre et paix sans je, de Sabine Macher,
suivi de Mon morceau de Polina Akhmetzyanova,
Les Petits matins, 250 pages, 14

État civil Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°205 , juillet 2019.
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