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Essais La mort d’Ulysse

novembre 2019 | Le Matricule des Anges n°208 | par Thierry Cecille

La Méditerranée ne serait-elle plus qu’un immense cimetière marin ? Seize auteurs tentent d’écrire contre cette fatalité.

Méditerranée, amère frontière

Même les moins alertés d’entre nous savent ce qui se déroule, sans doute chaque jour, en Méditerranée, comment cette mare nostrum, cette mer qui devrait être nôtre, c’est-à-dire partagée, fait office de frontière infranchissable, souvent mortelle. Près de 20 000 exilés y ont péri depuis 2014. Rien qu’entre 2016 et 2018, l’association SOS Méditerranée a pu sauver près de 30 000 de ces exilés, grâce à l’Aquarius. Nous n’ignorons pas les péripéties que ce navire et ses responsables ont dû subir entre le Charybde de la haine raciste et le Scylla de l’hypocrisie européenne. Aujourd’hui l’association a pu affréter un nouveau bateau, l’Ocean Viking – espérons que ce nom plus guerrier lui donnera les forces nécessaires.
Les bénéfices de ce recueil édité par Actes Sud seront reversés à cette association. Les voix qui s’y font entendre relèvent le défi d’aller contre le renoncement, voire le désespoir. Certains textes relèvent de la prise de position, de l’intervention, d’autres préfèrent la fiction, ou même la parole poétique. Comme en ouverture, le Majorquin José Carlos Llop cite avec justesse Conrad : « De Salamine à Actium, en passant par Lépante et Aboukir, pour finir par le désastre naval de Navarin (…) tout le sang héroïquement répandu en Méditerranée n’a pas teinté de la moindre traînée de pourpre l’azur profond de ses eaux classiques ». Llop rappelle qu’elle a toujours été, en effet, « une mer de sang ou de mort » mais qu’elle a toujours su le cacher. Le Grec Christos Chryssopoulos, lui aussi, loin de céder au mirage de la paisible plaine liquide, ainsi que la nommaient les Anciens, voit en elle, en une sorte d’oxymore frappant, une « mer terreuse » : « une terre que foulent les pas d’hommes et de femmes et dans les profondeurs de laquelle sont enfouis des restes humains ». Cette mer-muraille est devenue le symbole de ce qui tourmente l’Europe : « une peur viscérale, prolifique, qui s’étend sur toutes les terres du continent ». En une très belle page, il évoque une rencontre, place Omonia, au cœur de cette Athènes qui autrefois su inventer l’égalité civique. Un exilé s’approche de lui et lui demande en anglais où est Thessalonique ! « Rempli d’un sentiment d’impuissance mêlé de honte, je n’ai pas répondu tout de suite ; j’ai baissé les yeux et regardé ses pieds. Ses chaussures étaient couvertes de boue. J’en étais sûr. Lui aussi, il avait traversé la mer terreuse ».
Certains donnent la parole à ceux qui partent, veulent imaginer ce qui les anime, leur donne le courage de tout risquer. Charif Majdalani invente le monologue de Bilal, enfant de réfugiés palestiniens au Liban, nouvelle génération privée de terre natale. Pour lui, « naître, c’est être pris au piège » et même ses rêves lui sont douloureux, car il les sait inatteignables. Lui et ses semblables, pourtant, tentent de fuir pour « devenir autres, (s’) exprimer dans de nouvelles langues, marcher dans des villes fabuleuses ». Ce qu’ils laissent en partant, Wilfried N’Sondé le décrit avec une amère précision : « Derrière eux l’univers a rétréci, le bonheur s’est tari quand l’existence s’est transformée en une série de points d’interrogation, sans réponse apaisante. Ils laissent dans leur dos des bribes de civilisations, des mémoires collectives troubles et mal assumées qui s’égarent dans les musées, curiosités ethnologiques, singularités anthropologiques, peuples en voie de disparition ».
Nous ne pouvons rendre compte de tous les parcours ici esquissés, de toutes les inflexions, de la méditation nostalgique de Samar Yazbek à la réflexion d’Antonio Munoz Molina sur l’Espagne, jadis terre d’émigration, aujourd’hui bien en peine de devenir une terre d’accueil. Le beau poème de Meryem Alaoui, d’une simplicité rugueuse et forte à la Nâzim Hikmet, raconte, lui, comment la mer a griffé pour toujours celui qui, avec ses compagnons d’infortune, sur leur canot, a osé la réveiller : « Et moi, je suis la mer / La trompeuse, / L’infidèle, / L’eau fourbe, trouble qui – volage – monte et se hisse. » Thierry Cecille

Méditerranée, amère frontière
Sous la direction de Nathalie Levisalles,
Actes Sud, 142 pages, 15

La mort d’Ulysse Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°208 , novembre 2019.
LMDA papier n°208
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