Je m’appelle Fatima », Fatima Daas. C’est ainsi qu’elle se présente. Le dit, l’écrit, le répète, le serine à chaque début de chapitre. Comme pour se rappeler à elle-même qui elle est, comme pour s’assurer que tout va bien… alors que tout, forcément, est compliqué. Qui suis-je ? Où vais-je ? De ces sempiternelles interrogations, Fatima Daas pétrit un bien commun, quelque chose qui touche chacun. Elle s’appelle donc Fatima, Fatima Daas. Française d’origine algérienne. La petite dernière que ses parents n’attendaient pas. Banlieusarde. Musulmane pratiquante (quoique). Adolescente remuante. On lui dit : « garçon manqué », quelle barbarie ce raccourci. Au collège, elle traîne avec une bande de gars. « Je suis la seule fille du groupe mais je ne le sais pas encore. » Bonne élève, mais pas à sa place en hypokhâgne : comment une Arabe de banlieue pourrait-elle avoir de bonnes notes ? Y a de la triche ! Exit. Plus tard, jeune adulte pas vraiment dans les clous, elle fera une thérapie, quatre ans. Sa plus longue relation écrit-elle et l’on rit avec elle. Fatima Daas se raconte et nous raconte avec un bel aplomb les filles d’aujourd’hui, celles qui trahissent la famille, la religion, la société. Celles qui ont « une double vie », qui cachent leur âme, se cachent des autres, baissent la tête, celles qui préfèrent les filles aux garçons et qui un jour font face. Se rebiffent avec panache : l’écriture.
Pour son premier roman, l’auteure impose un style, une narration des contraires. Elle balance ses phrases comme des uppercuts mais les bourre de tendresse. Elle se confesse mais oublie de pleurnicher. Elle pointe noir sur blanc un tas de vilenies, d’injustices, de désamour mais oublie de s’apitoyer et redouble d’humour. La revanche, la violence, elle ne connaît pas. C’est chargée à bloc de générosité que Fatima Daas se bagarre, assume sa vie comme ses écrits. Ça vibre, ça claque, ça swing, ça parle aux tripes. Merveille de l’autofiction : elle qui aurait voulu écrire des histoires pour éviter de vivre la sienne, nous tend un miroir. Ne serions-nous pas toutes et tous des Fatima Daas ? Exemple : « Je m’appelle Fatima. Je regrette qu’on ne m’ait pas appris aimer. »
La très jeune écrivaine étrille la famille, sa mère trop femme au foyer, son père trop mâle attitude : « L’amour, c’était tabou à la maison, les marques de tendresse, la sexualité aussi. » Elle passe à la moulinette la religion, qui elle, va de soi. Il faut obéir à Dieu, c’est tout, et inutile de se poser des questions. Est-ce par provocation que Fatima choisira alors philosophie à la fac ? Et, en quelques épisodes cocasses, courra les mosquées en quête d’une réponse à son supplice : peut-on être à la fois lesbienne et musulmane ? Réponse de l’imam : « L’homosexualité est interdite en islam, il faut s’en éloigner. » Comment ? en priant la moitié de la nuit, et en jeûnant le lundi et le jeudi. Et hop !
Elle s’appelle Fatima, Fatima Daas. Elle nous parle des filles d’aujourd’hui. Et cela fait un bien fou.
Martine Laval
La Petite Dernière, de Fatima Daas
Notabilia, 188 pages, 16 €
Zoom Fille d’aplomb
juillet 2020 | Le Matricule des Anges n°215
| par
Martine Laval
Quand famille, religion et société sont décortiqués avec humour et panache. Un premier roman revigorant.
Un livre
Fille d’aplomb
Par
Martine Laval
Le Matricule des Anges n°215
, juillet 2020.