Patrick Reumaux ne nous a pas habitués aux narrations sages. Avec son caractère d’arpenteur de paysages et de cueilleur de champignons, le nez en l’air et les yeux sous les feuilles, on ignore comment il ne se casse pas la binette. Eh bien il ne se la casse pas : on ouvre toujours un « Reumaux » sous la double piqûre de l’excitation et de la gourmandise. Cette fois-ci, c’est sous les aiguillons conjugués du scorpion, de la méduse et du citron puisque c’est en Sicile que le romancier-poète-traducteur-directeur de la collection « De natura rerum » (Belles Lettres) s’est lancé dans une excursion commémorative.
Reumaux dont le verbe nous frise les moustaches depuis La Jeune Fille qui ressemblait à un cygne (Gallimard, 1965) – il avait alors 23 ans – s’est installé sur les terres de Giuseppe Tomasi di Lampedusa (1896-1957), l’auteur du Guépard. Ce chef-d’œuvre refusé partout de son vivant parut en 1958 à titre posthume. Il incarnait la singulière survivance d’un monde aristocratique éteint, décrit de mémoire neuf ans après la guerre par un prince mélancolique. Fasciné par l’ambiance shakespearienne dans laquelle vivent les Lampedusa et consorts, Patrick Reumaux investit l’histoire familiale d’un jeune prince dont les tendances abouliques ont trouvé dans la littérature un refuge et dans une grande Frisonne introductrice de la psychanalyse en Italie, Alexandra von Wolff-Stomersee (1894-1982), une épouse. Vinrent la guerre, la destruction du palais familial, la mort de la mère et, comme un écho au dernier combat du Giovanni Drogo de Dino Buzzati, cette déclaration du Sicilien : « En moi, tout est mort. Morts tous les espoirs et les ambitions de ma première jeunesse. Morts, morts, morts… ces jours dorés où je rêvais de succès pour payer de retour les sacrifices que ma mère avait si volontiers consentis pour moi. »
Reumaux était taillé pour mesurer le tragique de ces existences, parfois sanguines et déraisonnables, ou pleines d’ironie, en déréliction.
Éric Dussert
Les Derniers Guépards
Patrick Reumaux
Gallimard, « Haute Enfance », 180 p., 18 €
Domaine français Félins édentés
avril 2021 | Le Matricule des Anges n°222
| par
Éric Dussert
Un livre
Félins édentés
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