Henri Calet : Je ne sais écrire que ma vie
D’année en année les éditions et rééditions des livres d’Henri Calet s’amoncellent. Lui qui s’est toujours montré discret, humble, pétri de doute en serait le premier surpris. Poulidor des lettres, il ne voulait cependant pas changer de voie, ni de vie : « Je ne sais écrire que ma vie », déclarait-il, au cours de l’entretien qu’il donna à sa future compagne, Christine Martin du Gard (« Comment j’ai rencontré les mots », La Gazette des lettres, 13 novembre 1948). C’est sous ce titre que paraît l’un des deux livres signés Calet qui marquent la saison, un ouvrage considérable et inédit. L’autre, c’est le fameux Rêver à la suisse (1948), un classique de sa bibliographie, recueil d’articles du journal Servir qui ne plurent pas à tous les Helvètes, d’autant qu’ils jaillissaient après l’ironique Guide d’un petit voyage en Suisse de Paulhan (1947). Calet n’était pourtant pas avare de bonnes pensées : « Comment ne pas s’attacher à ce pays où l’on meurt en cueillant des edelweiss, romanesquement, où il existe encore des bêtes d’un autre âge, où les militaires jouent à saute-mouton »… Son nouvel éditeur, la maison genevoise Héros-limite, a déjà donné Les Deux bouts (2016) et s’apprête à rééditer aussi Les Murs de Fresnes, l’album où l’ex-comptable (il a, s’en souvient-on, dérobé le magot de son employeur avant la guerre) a relevé sur les plâtres de la prison les derniers mots gravés par les prisonniers pendant l’Occupation. Toutes ces publications valent hommage, et comme il l’écrivait à propos de la Suisse : « Un compliment est toujours bon à prendre, même s’il vous échoie tardivement. »
Ce qui mérite aussi louanges, c’est ce Je ne sais écrire que ma vie conçu par Michel P. Schmitt. Éditeur de Paris à la maraude (Éditions des Cendres, 2019) ou de Mes impressions d’Afrique (PUL, 2019), ce dernier a compilé et contextualisé tous les entretiens connus d’Henri Calet. Issus de la presse ou de sténogrammes effectués par les radios, ces textes contribuent « à démêler les entrelacs de la nécessité matérielle, des brutalités de l’histoire et de la libre aventure individuelle. Cet homme ne crut jamais au salut par le travail, mais personne plus que lui ne connut les affres de la course après l’argent pour vivre, tout simplement. » Et à travers ses échanges oraux, on constate que Calet correspond à son image, rejoignant à Combat Pascal Pia l’anarchiste, passant « toute une vie à pied », comme Fargue avant lui et ensuite Yves Martin, partageant cette sensibilité « des hospitalisés » (Lubin, Bousquet), soucieux toujours des conséquences de son vol non élucidé, poussé dans les cordes de son métier, avouant l’ennui comme déclencheur de l’acte d’écrire – il se dit même qu’en prison… –, louant la vie de son XIVe arrondissement… Avec son accompagnement de notes, bibliographies, index et commentaires, le travail de Michel P. Schmitt vaut quasi-biographie.
Henri Calet livrait ses informations avec parcimonie, beaucoup d’humilité, et ce ton de professionnel déniaisé depuis lurette, toujours poli, sans brutalité, quoi qu’il pense de l’humanité. Il était « mordant sans méchanceté », nous rappelle-t-on, et c’est le charme de sa littérature teintée de l’« humour gris » dont il est l’inventeur. Devançant la traduction de Musil, le futur sociologue Edgar Morin évoqua à son propos « l’homme quelconque d’aujourd’hui » dans le journal Le Patriote résistant (circa 1948). Le mot tombe juste, sachant que Calet se nommait en vérité Raymond Barthelmess, patronyme étonnement proche de celui de Bartleby. Mais il est Bartleby plus bavard, enjoué parfois, en particulier lorsqu’il évoque son expérience de directeur d’usine : « Ah ! La porcelaine électro-céramique, c’est bien intéressant… et bien mystérieux. » C’est, au fond, comme ces vies d’écrivains laborieux et perclus de doutes… Par bonheur, le cas de Calet s’éclaire un peu plus aujourd’hui, et c’est bien grâce à ce passionnant ouvrage.
Éric Dussert
Je ne sais écrire que ma vie
Henri Calet
Édition établie et présentée par Michel P. Schmitt
Préface de Joseph Ponthus
Presses Universitaires de Lyon, 256 pages, 20 €
Rêver à la suisse
Henri Calet
« Petit avertissement » de Jean Paulhan
Héros-limite, 102 pages, 12 €