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Zoom Écriture traversée

juin 2022 | Le Matricule des Anges n°234 | par Christine Plantec

En marche vers une Zone à défendre, dans le ralentissement du corps, Virginie Gautier revendique une forme d’attention qui infuse bien au-delà du texte.

Vers les terres vagues

Approche de la Zone à défendre
Editions Nous

Vers les terres vagues est le récit d’un voyage vers Notre-Dame-des-Landes, celui d’une expérience subjective vers un lieu déjà écrit par tant d’autres mais non encore approché de cette manière-là, à savoir dans une temporalité qui embrasse l’avant du voyage et son fantasme solitaire, le trajet pour y parvenir et sa cohorte de rencontres, l’arrivée sur la ZAD et l’épreuve du réel.
Impossible chez Virginie Gautier de dissocier l’écriture du déplacement tant son œuvre est arrimée à ce dispositif particulier. « Qu’ai-je donc à proposer des mouvements de mon corps, quelques mots déplacés » interroge la narratrice errante dans Les Yeux fermés, les yeux ouverts (Le Chemin de fer, 2014), être de passage cherchant refuge sans pouvoir se fixer.
En 2017, c’est le mouvement encore qui préside à deux opus : Marcher dans Londres en suivant le plan du Caire (Publie.net) est le long poème-palimpseste d’une ville, à priori Londres ou toutes les villes ensemble car ce qui importe est ailleurs, dans le rapport entre dehors et dedans, entre la mémoire et l’ici et maintenant, entre expérience et écriture. « Écarter les différentes strates pour voir. Les traces effacées, ce qui reste. Effarés, on marche » jusqu’à ce qu’apparaisse une matière. Dans À l’approche (Le Chemin de fer), la narratrice écrit depuis le RER A entre Paris et Cergy-Pontoise, jour après jour des prélèvements se tressent à la mémoire familiale : « depuis la falaise de la fenêtre/ je travaille à l’allongement de mon récit-récif/ le long de mes côtes étrangères/ implorant que ça dure/ pourvu/ que ça dure ».
Chez Virginie Gautier la carte n’est pas le territoire. Bien que souvent première – peut-être pour donner à l’espace une géométrie objective – la carte est une documentation préalable : « Il faut approcher les cartes avec circonspection (…). Mesurer l’imposture que génère la carte, ne pas la prendre pour contenu, s’y accrocher quand même, comme à son seul outil, s’y tenir ». Des cartes comme des repères qui organisent autant l’espace que les conditions d’une dérive.
Vers les terres vagues est un triptyque. Le premier temps est celui des possibles, l’installation d’un protocole, le temps réflexif, l’avant du départ. « Embarquer corps, texte et paysage dans un même mouvement, il n’y a de vrai que cette tentative ». Et puis il y a la langue et sa puissance : « on entre par le mot de lande, il ouvre marais, ouvre forêt, ouvre maquis. Un espace où se perdre, un lieu pour échapper ».
Le deuxième temps est un journal de bord ou du moins sa reconstruction sensible sur treize jours. Le paysage imprime le corps et, le soir, la main retranscrit ce qui a été consigné en une dialectique douce qui, peu à peu, dessine son mouvement propre. « C’est une durée, un geste pris en son milieu où apparaissent et disparaissent quantité de petits évènements qui s’ordonnent en une multiplicité de points de vues toujours mobiles ». C’est le temps de l’accueil des hôtes chaque soir. C’est le temps de la mise en mouvement et pourtant c’est aussi celui d’une attente. Le temps qu’il faut pour accéder à la ZAD.
Le troisième temps, c’est Notre-Dame-des-Landes. « J’écoute les conversations, prends le pouls du lieu, repousse le moment de raconter pour ne pas laisser le voyage s’éloigner trop vite ». Se rendre disponible au lieu, à la singularité d’une utopie en construction où chacun œuvre à un projet commun malgré les dissemblances. « Ils, elles, tentent de s’approprier collectivement le bocage. Avec les moyens du bord, avec des fêtes et des rituels, avec les conflits et les désaccords. (…) Limiter les besoins, partager les ressources et les connaissances. Maraîcher, signer, cultiver, élever. Dessiner les cartes, étudier le droit, monter un mur. Dénombrer les espèces naturelles, brasser, forger, tailler, cuisiner ».
L’expérimentation comme principe politique où la tentative d’accueillir le mouvant, le provisoire, le « vague » est au fondement de la création et dont Virginie Gautier se fait ici l’humble écho.

Christine Plantec

Vers les terres vagues. Approche de la Zone à défendre,
Virginie Gautier
Nous, 128 pages, 14

Écriture traversée Par Christine Plantec
Le Matricule des Anges n°234 , juin 2022.
LMDA papier n°234
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