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Poésie Manœuvre de pelle et de pioche

mars 2023 | Le Matricule des Anges n°241 | par Emmanuel Laugier

Toute la vie, première traduction du poète tessinois Fernando Grignola, révèle quelle attention sa poésie portait aux pauvres, à l’économie du peu, aux gestes frugaux et néanmoins essentiels à toute existence vraie.

Toute la vie - Poèmes 1957-2016

C’est un miracle que de voir paraître de tel livre. Toute la vie est lui venu de l’écrin tessinois (et plus particulièrement de la région du lac Lugano) résonner aujourd’hui dans nos mains tel le froissement odorant d’une gerbe de foin. Bien que lauréat du grand prix Schiller en 1998, qui, de l’autre côté des Alpes, aura entendu la voix de Fernando Grignola (écrite dans le dialecte de l’Agno) signer la balafre sans dialectique entre la fin d’un monde rural où les gestes étaient aussi âpres que justes et l’avenue rampante de la technique consumériste du capital globalisé ? Qui, personne, hors une poignée de peu à qui ce pouvoir put être de l’écouter. Le poème « Condamnation pour une masse (per tanti), pouvoir d’une poignée (di pochi, qui est de peu) », extrait de Ciel de mot (1991) l’écrira sans réserve : « Nous, on chante la fin de la vie paysanne/ moulue en panure de momie de musée (…)// Nous, on est déjà les restes dépravés/ des maquignons à masque à gaz/ et aux bombes infectieuses  ». Mais c’est vigie constante de l’écriture chez Grignola que de n’être ni emportée par une tentation de sainteté nostalgique, comme par le ton élégiaque et éloquent du registre gnomique. L’entremêlement de son pessimisme et des moments d’émerveillements qu’il donne à voir ne se soutient d’aucun surplomb. Les expériences, qu’elles s’arrachent au désastre, ou qu’elles viennent de l’ordinaire de la vie rurale (la faux luisante tranchant les blés), ne forment pas de leçon, sinon celle d’un recours à une simplicité affirmée, moins donnée qu’oubliée.
En 1963 déjà, sensible à la situation économique du Sud (entre autres de l’Italie), il donne le portrait de l’émigrant « comme une tragique colonne amputée/ les épaules collées au portail/ une adresse à la main/ le bonnet enfoncé sur sa tignace,/ il garde le pont enchanté/ que lui seul peut franchir  ». Que sera-t-il devenu celui-là parmi les autres poèmes, après ses gestes et sa paie : un corps en croix chu au bas d’un échafaudage : « Il suffit du branlement/ paresseux/ d’une antenne…/ et le chapeau de papier/ il plane/ en l’air/ sur le noir de l’échafaudage » (« Mort du maçon » ). Grignola ne le cache pas, cette réalité, tragique, est ce que, eux, payent en premier. Mais sa rage ne se tait pas, ni ne se résigne, notamment dans Proche lointain (1999) : « Eux, ils font semblant d’écouter/ mais ils ne se lassent jamais/ de liquider les pauvres gens », ils ne sont que « loups soûlés de pleine lune/dans le cornet d’un néant ».
Quoique souvent nominaux, les poèmes de Grignola, comme deux faces opposées, se construisent autant d’images aux registres parfois hermétiques que de saisies visuelles nettes et tranchantes. L’influence qu’eurent sur lui Ungaretti – le Ungaretti minéral et rayonnant – et Cesare Pavese, qui lui permit d’introduire de micro-narrations dans le poème, voire du journal, forme les deux versants des pages humbles de Grignola. Le mot n’a pas à être évité, comme celui de tâche, ou de simplicité, à quoi revient l’acte d’écrire : s’il y a une « sonate sans nom » au fond de lui, « quelque chose de cette flânerie/ qui reste là déchiré par la benne/ qui ride le courant », de Grignola « il restera des pages plaquées à la spatule/ dans le bleu d’un ciel neuf » (« Di me »). C’est que « la camelote est derrière moi. Mon ami/ tu dois plutôt aller à la racine/ que je tente (je tente) de porter au jour/ au plus vif de ma lutte ». C’est que la volonté d’aller à l’origine des « choses mêmes » est, avec sa vieille pugnacité antique et son ironie, multiple et se teinte chez Grignola d’une véritable foi : celle de saint François pour le vœu de pauvreté et l’attention au peu, celle de Saint Matthieu pour la hargne calme de la lutte menée (vu par Pasolini) pour dire, exposer, éprouver sans détour la horde des chiens, mais aussi transmettre la compassion, la beauté du juste sentiment de l’existence : « Le Claudino, il a/ un petit veau/ à l’étable.// Tous les soirs/ avant d’aller au lit/ il prend la lanterne// (et sans taper dans l’œil/ à cause des vaches jalouses)// il lui change sa paille/ en drap de parfum de foin ».

Emmanuel Laugier

Toute la vie. Poèmes 1957-2016
Fernando Grignola
Traduit du dialecte d’Agno et de l’italien par Christian Viredaz
Préface de Flavio Medici
Conférence, 288 pages, 20

Manœuvre de pelle et de pioche Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°241 , mars 2023.
LMDA PDF n°241
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