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Poésie Du génie au silence

septembre 2023 | Le Matricule des Anges n°246 | par Richard Blin

Rimbaud et Lautréamont étaient de ceux que la littérature déchire. Leur mérite, nous dit Jude Stéfan, aura été de ne pas s’établir en elle.

Rimbaud et Lautréamont

Evolution de deux destins poétiques (ou : du génie au silence)
Editions Étoile des limites

Sachant combien l’œuvre de Jude Stéfan (1930-2020) est celle d’un poète – majeur – aussi réfractaire qu’inclassable, on n’est pas surpris de découvrir qu’il avait choisi – dans le cadre d’un mémoire universitaire soutenu en 1960, et resté inédit jusqu’à aujourd’hui – de traiter de l’évolution des destins poétique de Rimbaud et de Lautréamont. Pas surpris car, génie mis à part, et par-delà leur exemple et leurs œuvres, il y a dans l’œuvre et la vie de Stéfan quelque chose qui les évoque tous deux.
De ces deux génies « impatients » qui ont réussi à laisser un nom, une œuvre, sans l’expérience d’une longue vie – le silence de Rimbaud date de sa vingtième année, et Ducasse meurt à 24 ans –, Jude Stéfan retrace leur irruption dans un domaine « sacré » réservé d’ordinaire à l’adulte. Il montre comment deux adolescents épris de liberté, et s’inspirant d’exemples prestigieux auxquels ils s’opposeront avec acharnement, ont fait de leur révolte « exemplaire et absolue », le ferment de leur désir créateur. Ayant en commun le refus de la platitude, de la société et de la morale, ils récusent une littérature trop humaine, et ont chacun le sentiment d’être « unique et différent des autres ». Rimbaud, le fugueur, s’imagine en « fils de la nature », et le poète montévidéen, venu terminer ses études en France, est un exilé solitaire. Leur révolte va les conduire, en un mouvement unique de véhémence, à récuser la réalité. De ce monde faux et invivable, Rimbaud fera la porte d’accès à cette activité de l’esprit qui consiste à créer la vision, à se faire voyant au prix d’un « raisonné dérèglement de tous les sens ». À travers la poésie, qui est « le faire imaginatif », il cherche une réalité autre, plus vraie, située ailleurs. Lautréamont, lui, défiera le Créateur, le « céleste bandit » dans Les Chants de Maldoror, une traversée du négatif de l’espèce, dépassant toutes les limites et témoignant de l’absolue liberté de l’imaginaire quand ne le restreint plus la distinction entre le Bien et le Mal.
Pour Rimbaud, et avant Une saison en enfer, il y aura Le Bateau ivre, un condensé de première révolte, un « long poème dominé par le recours aux prestiges de Satan ». Emporté par la violence de l’imagination, il fuit l’immobilité monotone, devient navire, et c’est toute la magie rimbaldienne qui se met en branle, nous fait partager le bonheur de la tempête succédant à la bonace de l’existence. « Pas de terreur devant le déchaînement des éléments mais l’émerveillement », dit Stéfan. Mais l’œuvre dans laquelle Rimbaud se reconnaîtra pleinement, ce sont les Illuminations. Quittant la poésie traditionnelle dont il a épuisé tous les mètres, il est à la recherche d’une autre forme d’expression : finies les images poétiques, il s’agit « de voir, d’entendre l’inouï, de noter l’invisible, de découvrir l’inconnu ».
À ces mouvements d’exaltation vont succéder des mouvements d’annulation. Prenant conscience de leur « orgueil puéril », l’un et l’autre vont comprendre que la révolte est facile et naïve. L’un va, dans les Poésies, annuler Maldoror et vouloir corriger, « dans le sens de l’espoir », les meilleures poésies de son temps. L’autre, dans Une Saison en enfer, dira ce que fut cette épreuve du feu. « Moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher et la réalité rugueuse à étreindre ! » Un livre où il constate que ce qui, une fois, fut n’est plus désormais qu’un autrefois nostalgique. « Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin… »
Lautréamont, dans les Poésies, renonce clairement à son pouvoir d’expression. Quant à Rimbaud, il a perdu l’usage de la faculté poétique, de la parole créatrice, un peu comme s’il avait eu « le souffle coupé ». « Je ne sais plus parler. » En lui le feu s’est éteint. Que pouvait-il rester à chanter quand on a noté l’inexprimable, « inventorié l’inconnu : l’inouï, l’invisible, l’inédit » ? Et puisqu’il n’y a ni lieu ni formule, il ne restait qu’à rentrer dans l’ordre commun. C’est que, chez Rimbaud, la poésie n’avait pour office que de remplacer la réalité. Mais la poésie n’est pas une fin. « On ne s’établit pas en elle. Si l’on devient poète, on ne le reste pas. » Sauf à faire semblant, à se situer à un niveau « où l’on ne meurt pas de beauté amère ».
Ces deux « génies impatients » qui se sont tus par expiration de leur pouvoir montrent que la littérature doit rester une fiction. Ce que Jude Stéfan n’aura de cesse d’incarner. « Je ne suis pas ce que j’écris, de même que j’écris ce que je n’ai pas été. » Car la poésie « est du côté de la rhétorique plutôt que du côté de l’expérience intérieure ».

Richard Blin

Rimbaud et Lautréamont
Jude Stéfan
L’Étoile des limites, 72 pages, 15

Du génie au silence Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°246 , septembre 2023.
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