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Poésie Strange fruit

janvier 2024 | Le Matricule des Anges n°249 | par Emmanuel Laugier

Avec Sonnets américains pour mon ancien et futur assassin, Terrance Hayes signe un livre impressionnant sur les racines structurelles du racisme.

Sonnets américains pour mon ancien et futur assassin

Le seul livre traduit en français de Terrance Hayes (né en Caroline du Sud en 1971, auteur de presque quinze livres, dont certains lauréats des plus grands prix transatlantiques) est un événement double : par l’ampleur créatrice de sa langue et la densité de ce qu’il radiographie de la société américaine, foncièrement raciste (les cinq années d’investigation de Trump ne suffisant pas à localiser seulement sa violence), et par la restitution dans le français de ce que Guillaume Condello appelle sa musique. Tour de force qu’il faut saluer tant sa traduction restitue le beat et les linéaments du sens se cherchant, les complexités des jeux d’assonances et d’allitérations que la flexibilité de la langue anglaise. Le sonnet américain, dans sa période moderne, ayant été aussi son véhicule approprié, précise Condello, celui-ci condense en ses quatorze vers un flux de matières disparates et impures qu’Hayes manie avec une virtuosité à la fois savante et intuitive assez dingue. Composé de cinq parties de quatorze sonnets, dont certains reprennent des motifs lancinants, le livre s’apparente à un long plan séquence traversant les États-Unis. On pense inévitablement aux photographies de Paul Fusco prises le 8 juin 1968, trois jours après l’assassinat de Robert F. Kennedy, du voyage du cortège funéraire traversant les U. S. A face à la multiplicité de sa population sidérée (noire autant que blanche ou métisse), ainsi qu’à la reconstitution filmée que réalisa l’artiste français Philippe Parreno, car chaque geste est une façon de « montrer le point de vue du mort ».
Dans le train-sonnets de Hayes, le geste va aux morts noirs, car il faut rouvrir leur plaie pour que leurs fantômes témoignent de leurs assassins. La violence raciste que chaque sonnet interroge, depuis la liste parfois de leurs représentants – esclavagistes, ségrégationnistes ou suprématistes (p. 31) – interdit sa simple interprétation comme fait divers. Mais la montre, dans le lien généalogique entre rationalité et paranoïa, comme une longue chaîne tirée d’un puits sans fond, comme une survivance dont le vrombissement est égal à ceux de milliers de grappes de mouches sur le cadavre d’innocents à la peau noire. Tout ce que Hayes agence, dans la fougue fracassante de sa recherche (son comment dire), est ainsi inséparable de la langue qui fait que ses sonnets sont écrits comme ils le sont et en créent une rage et une hargne neuve. Un exemple, parmi tant, relevé au corner de l’un des sonnets : « La énième claque sur la croupe d’un gros cul bien rond/ Nous confond. Le crétin, l’imbécile, le gros bout de butin./ Le énième baratin à braquemard d’un cul blanc qui pompe/ Son bousin malsain en l’air. Le énième déclin/ De notre démocratie ronronnante », et pour en entendre vraiment la chair sonore « The umpteenth thump on the rump of a badunkadunk/Stumps us. The lunk, the chumb, the hunk of plunder. etc. »
Encore ceci, Hayes abandonne dans les lianes de ses vers des noms (Baldwin, Dickinson, Maxine Waters, Toni Morrison, Walcott, Hughes…), lesquels sont autant de frères armés face à leurs assassins potentiels. Cette inégale égalité (combien de morts noirs pour une mort blanche par la police ?) tresse pourtant la colère à la bonté contre la haine du ressentiment. Ce livre en expose l’aggravation et la complexification, moins le didactisme. 
Ironie et humour très noirs, élégie et vivifiant défi à l’horreur, poésie au « colt pour soleil levant » (René Char), Hayes peut et sera le seul à pouvoir se remémorer : « Je répétais à la trompette en me noyant./ Je me rabotais les sabots en ongles », et jusqu’au diable endosser le costume de l’assassin pour le conchier et ressusciter l’âme de George Floyd.

Emmanuel Laugier

Sonnets américains pour mon ancien et futur assassin
Terrance Hayes
Traduit de l’anglais (U. S. A) et postfacé par Guillaume Condello
Bilingue, préface de Pierre Vinclair,
Le Corridor bleu, 176 pages, 16

Strange fruit Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°249 , janvier 2024.
LMDA papier n°249
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