La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Poésie En guerre

janvier 2024 | Le Matricule des Anges n°249 | par Christine Plantec

D’une vigueur extrême et contenue, Solmaz Sharif dessine avec la pointe du couteau sa condition d’exilée et son impossible issue.

Après le très remarqué Mire paru en 2019, Douanes de la poète Solmaz Sharif continue d’explorer la question du déracinement et de l’exil. Née en Turquie en 1983 de parents iraniens puis naturalisée américaine, elle enseigne l’anglais à la très prestigieuse université de Berkeley. Un pur produit de l’intégration américaine, pourrait-on penser. Ce serait trop simpliste et il nous faudrait faire sans cette colère qui court de bout de bout de l’opus comme un cri lancé à la face d’un monde occidental impérialiste et violent. « On t’a rappelé que tout // était la propriété de l’Occident. / La crasse d’un nid de corbeaux // construit derrière la statue d’un grand donateur/ effacée. (…) Et c’était ça. / Ce nulle part. // Mon école du ressentiment commençait. »
Étrangère aux États-Unis, elle l’est tout autant dans la terre des ancêtres. À Shiraz, accompagnée de sa mère, elle mesure combien son ethos est d’être de nulle part, dans un entre-deux permanent. « Ce que je voulais dire : / la chose tuait : petite / créature à fourrure recroquevillée/ et léchant proprement // son arrière-train paisiblement / blottie au fond / de mon cœur imbécile. Quand j’y suis allée // je n’ai rien trouvé. / Il était mort là : le désir. / Toute rêverie / de retour. »
Douanes
au pluriel et sans article dit cet état, sa récurrence et sa violence. « Et se déshabiller quand l’agent te le demande » dans ces hauts-lieux de contrôle, de transit, d’humiliation, tantôt seuils, tantôt frontières est une épreuve dont Sharif parvient à faire quelque chose. Faire de cet espace particulier le lieu où l’intime et le politique se télescopent. Où la douleur se dit mais sans être doloriste peut-être parce que la poésie « a le pouvoir de juxtaposer en un seul lieu réel plusieurs espaces, plusieurs emplacements qui sont en eux-mêmes incompatibles » ainsi que Foucault définissait son précieux concept d’hétérotopie.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : construire un espace qui n’est ni utopique ni imaginaire mais édifié dans et par la langue. Un long poème tripartite qui cherche ses contours sans jamais y parvenir (comment cela serait-il possible ?). Une langue amère, féroce, endurante qui travaille à l’intérieur même de de ce poème intitulé « La maison du maître », ainsi que la féministe Audre Lorde en 1979 l’affirma, c’est-à-dire en ayant l’ambition d’y accomplir son œuvre mais avec ses propres outils et non pas ceux du maître.
La langue américaine comme cheval de Troie d’une langue disloquée, elliptique, syncopée qui par un savant travail de montage et de démontage parvient à dire et à montrer, à sentir aussi comme si lisant nous-mêmes le poème nous nous retrouvions à psalmodier une langue dont on est exclus. Soit le premier poème « Amérique ». « Il m’a / fallu. Je l’ai / appris./ C’était / si. Si / était bien. / J’ai dit/ bien sûr. / J’étais morte. Je l’ai / appris. Il / m’a fallu. » Langue de perroquet soudain sabotée, une glossolalie merveilleuse et victorieuse car à mesure que le texte avance, des contrastes s’affirment. Le flou des géographies physiques et intimes cède la place à la clarté d’images frontales, un fusil pointé vers le père, une cicatrice, « à son poignet, ]] la montre d’un homme mort. » Et cette puanteur des anciennes tanneries iraniennes qui se répandent dans tout le poème. « Nous qui à la périphérie/ du royaume ]] / écharnons les morts les uns après les autres / pour façonner / la chose la plus simple, la plus répétitive /aujourd’hui obsolète : // des seaux en cuir ]] / pour tirer de l’obscurité / une surface fraîche et luisante / dans laquelle se voir ».
Un ailleurs aux antipodes d’une Amérique de consensus, de simulacre qui loue courtoisement ses poètes alors « qu’en fait c’est avec de gros balais et des poubelles / qu’ils viennent nettoyer la merde des éléphants ».

Christine Plantec

Douanes
Solmaz Sharif
Ttraduit de l’anglais (États-Unis) par Raluca Maria Hanea et François Heusbourg
Unes, 104 pages, 19

En guerre Par Christine Plantec
Le Matricule des Anges n°249 , janvier 2024.
LMDA papier n°249
6,90 
LMDA PDF n°249
4,00