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Poésie Désenvenimer l’inacceptable

janvier 2024 | Le Matricule des Anges n°249 | par Richard Blin

À travers sursauts et scissures, dissonances et tâtonnements inquiets, la poésie d’André Frénaud (1907-1993) met en scène l’expérience ontologique. Une anthologie de ses poèmes longs nous donne l’occasion de la(re)découvrir.

Moins répandue que celle d’un René Char ou d’un Henri Michaux, la poésie d’André Frénaud, né à Montceau-les-Mines, en 1907, ne se livre pas d’emblée. Pudique et rigoureusement syntaxée, elle est celle d’un grand mâcheur de mots qui fait entendre une vérité d’existence sous la vérité d’écriture.
Entré tard en poésie, à 34 ans, retour de captivité, avec Les Rois mages, André Frénaud a une vision tragique de l’homme. Isolé au cœur de l’univers, prisonnier de cette infirmité foncière qu’est sa condition de mortel, il ne peut, s’il est lucide, que se poser la question du sens du monde et de son existence au sein de celui-ci. Là où certains vont chercher à apprivoiser la mort à travers différentes croyances, Frénaud, lui, préfère s’en tenir à des constats : nous sommes éphémères, les dieux – ou Dieu, ce « lieu géométrique de la lâcheté humaine » – sont morts tout comme les grandes espérances qui les avaient remplacés. « Il n’y a pas de paradis », clame-t-il, ni derrière nous, ni devant nous, ni au ciel, ni sur la terre où chacun doit parcourir la distance qui lui est accordée, du berceau à la tombe, « de l’utérus au sépulcre ». Reste donc à assumer l’horreur de n’être que soi et celle d’être voué au néant. Un non-espoir avec lequel il s’agit de vivre.
Mais comment vit-on au sein de cette désespérance sans abdication ? Dans l’ambivalence nous dit le poète. En acceptant l’incessante oscillation entre le danger de désespérer et le danger d’espérer. En assumant l’envie de surmonter, ne serait-ce qu’en de rares instants, l’ordre des choses. En prenant acte de l’enchevêtrement en nous des forces contraires que sont le désir de n’être pas et l’avidité d’être au-delà de ce que nous sommes. Un besoin de sur-être, non pas celui, « trop facile », du surréalisme – mais celui d’un au-delà, d’un « plus loin » où ces deux réalités liées et antagonistes que sont l’homme et le monde, retrouveraient leur unité, consonneraient avec la palpitation secrète de l’énergie qui pilote le monde. C’est cette expérience ontologique, cette forme d’hédonisme tragique, ce stoïcisme sarcastique qui est au cœur et au fondement de la poésie frénaldienne.
Une œuvre dont Où est mon pays témoigne avec vigueur. Privilégiant les poèmes longs, elle permet au lecteur de traverser l’œuvre et les différentes étapes qui la ponctuent, exception faite de La Sorcière de Rome dont il est impossible d’extraire une partie sans briser le rythme et l’ampleur de l’ensemble. Une œuvre qui, s’inscrivant sous le signe du parcours, est une sorte d’épopée moderne qui commence par Les Rois mages, l’aventure d’une errance à la poursuite d’une étoile improbable, de ce point toujours fuyant « toujours s’effaçant à mesure de l’approche », vers quoi l’œuvre se tend.
Qu’il évoque ceux qui habitent le pays (Les Paysans), qu’il donne figure au chaos de la guerre (Noce noire), qu’il se souvienne dans Trente ans après, Paris, des « éclats d’autrefois », le poème se veut toujours un chemin et une quête. Comme dans Le Silence de Genova quête d’une trace de ce qui fonde. Il rêve, le poète, d’accéder « à la part perdue, à l’universel / ruissellement qu’exhalèrent / en tâtonnant ceux qui bâtirent ». Cet « être inaccessible », cette énergie créatrice, ce Rien qui palpite, une rencontre parfois en favorise l’épiphanie. Comme dans L’Étape dans la clairière« le passage de la visitation » est dite en son lieu. « Je m’ouvre dans le flux, je m’exhausse dans le chant. / (…) / Je m’élève en sa force / comme l’aigle dans la foudre, / dans le Rien confondu, / en feu. » Au cœur de cet événement qui, desserrant la trame pesante de la réalité, transporte le poète hors de lui, il est comme pris dans « l’Unité du monde en mouvement ». Vidé de lui-même et de tout ce qu’il sait, il participe à l’universelle présence, à ce « depuis toujours déjà » de l’être. Comme si le présent de l’instant se ramassait dans l’éternité de l’être. Une expérience où l’absolu et le néant se confondent, une « condensation-illumination soudaine » qui exalte mais ne dure pas. Venue s’incarner dans la voix du poète, elle cristallise en un corps verbal où affleure cette vérité qui a déferlé et s’est retirée. Hélas, à peine achevé, le poème apparaît sourd à la musique de l’être, semble « murmure misérable », « étrange ramage », fruit de ce que l’auteur nomme son « inhabileté fatale ». L’être, à nouveau est en fuite, comme l’étoile.

Richard Blin

Où est mon pays ?
André Frénaud
Préface et choix
des poèmes par Laurent Fassin
Le Temps qu’il fait, 200 pages, 22

Désenvenimer l’inacceptable Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°249 , janvier 2024.
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