Ivar Ch’Vavar, qu’évoquent pour vous ces trois P : pays, paysage, peuple ?
Un pays, une géographie intérieure, que j’ai voulu appeler, non par dérision, mais par provocation, la Grande Picardie. Complété par d’autres, c’est devenu la « Grande Picardie Mentale », ces régions du Nord sans frontières ni délimitations bien précises, terrains ouverts à la conquête, aux guerres, donc aux dévastations et aux reconstructions. Des pays improbables qu’on appellera Picardie et non les Hauts-de-France, un nom de lotissement. Je ne veux pas habiter dans un lotissement. Ce n’est pas une revendication régionaliste, mais partir de cette idée qu’on habite quelque part, ça peut être aussi bien une habitation mentale ou fantasmatique. On a besoin d’un lieu et pour moi ça a été la Picardie, il y avait derrière, toute une enfance, ses joies et ses souffrances. Le fait d’être considérés comme des personnes indignes parce qu’on n’était pas vraiment des Français, on parlait un dialecte, on était d’une classe laborieuse… Il fallait assumer tout ce qu’on nous jetait à la face et en même temps défendre nos frères, nos camarades de cette région qui en représente évidemment bien d’autres et se défendre contre ces intellectuels, ces politiques qui nous faisaient sentir qu’on était finalement à peine humains, dans une sorte de recul anthropologique. Voilà pourquoi cela était très important pour nous de marquer toujours avec humour et provocation notre lieu.
Le peuple, ça se fond là-dedans si ce n’est que dans peuple, il y a aussi la classe ouvrière, la petite paysannerie, l’Histoire ouvrière, l’Histoire de France. Quant à notre paysage, aussi, on lui crachait dessus. On habitait en réalité les bas de France, qui ne pouvaient présenter un beau visage au consumérisme touristique. Il fallait aussi assumer la laideur de nos paysages.
Et le picard, langue dans laquelle on perçoit du trivial, du médiéval, du joyeux et du sombre, un carnaval, un Grand Meaulnes ?
C’est une langue cousine, jumelle du français avec un mouvement picard, des écrivains picards, des organismes qui s’occupent avec peu de moyens de la défense de cette identité-là. Pas vraiment mon truc. Mon truc, c’était l’invention, prospecter, avancer sur ces terrains, dans cette géographie-là. C’est une langue triviale parce que langue populaire d’ouvriers, de paysans. C’est vrai que dans Le Grand Meaulnes, il y a ces scènes de rêves déchaînés… Le Moyen Âge plus Rabelais, ça donne quand même une image très populaire, très festive. Tout pour moi est évident, rien ne me pose problème. La scatologie par exemple, c’est le fait que dans ces littératures populaires, l’importance très grande de la merde, c’est quelque chose qu’on assume parfaitement parce qu’on peut aussi la relier à la spiritualité. Il ne faut pas se laisser enfermer dans des images négatives ou positives, il faut être au plus près de la vérité de ce qu’on est !
Une langue qui a du corps ? Le corps est très...
Dossier
Ivar Ch'Vavar
Nord magnétique
mai 2024 | Le Matricule des Anges n°253
| par
Dominique Aussenac
Salut et fraternité ! Ainsi nous apostrophe Ivar Ch’Vavar, écrivain polymorphe des petits riens et du grand tout, au terroir universel centré en Picardie, qui sait si bien s’effacer, mais aussi se mettre à nu.
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