Maintenant, quand on lit son nom dans Libération, dont elle est la directrice adjointe, on pense à elle autrement, avec de l’affection, comme si c’était une proche. Dans ce livre ponctué de photos, Alexandra Schwartzbrod se raconte à travers des allers-retours entre passé et présent, levant le voile sur son cercle familial, ses choix de vie et ses contradictions. La première phrase de cette autobiographie sonne comme une percutante accroche d’article : « Mon père a toujours rêvé d’être juif ». Elle commence par là, par dire qu’elle n’est pas juive, ce que beaucoup croient souvent du fait d’un patronyme qui laisserait entendre des origines ashkénazes. Se déroule ensuite, sur le ton de la confidence qui joue franc-jeu, le récit d’une existence vouée à la presse écrite. Elle se souvient de ses premières années de journaliste, aux Échos, au début de la décennie 90, où elle s’est crânement imposée spécialiste de la chose militaire. Une période palpitante où elle traite des questions de défense, en contact avec de drôles de sources qui, reconnaît-elle, la fascinent peut-être un peu trop parfois, « attirée par les zones grises ». Elle s’attache aussi longuement à ses relations tumultueuses avec Israël : passée à la rédaction de Libé en 1994, elle décrochera le poste de correspondante à Jérusalem, trois ans durant, entre 2000 et 2003. Elle se dit « presque charnellement attachée » à cette ville alors. Vivre là-bas c’est comme exaucer un vœu inconscient. Une époque intense à tous points de vue, personnelle et professionnelle, qui lui vaut d’être encore aujourd’hui concernée par cette partie du monde toujours au bord de l’implosion. Cette expérience israélienne a d’ailleurs nourri son excellente trilogie policière (Balagan, Adieu Jérusalem, Les Lumières de Tel-Aviv) : « Mes romans noirs m’ont surtout permis de montrer à quel point j’avais passionnément aimé ce pays, tiraillée sans cesse par des sentiments contraires. »
L’approche fragmentaire de ses souvenirs permet des associations d’idées et de temporalités. Ce coup d’œil dans le rétro est un projecteur qui éclaire le passé (d’où le choix de ce jaune solaire pour la couverture ?) ; Alexandra Schwartzbrod met en lumière la jeune femme qu’elle a été, la mère, l’amoureuse, la tête chercheuse d’infos qui dévore la vie et bouffe les mots. Celle que ses collègues de Libé surnommaient à une époque « Betty Scoop » a quelque chose d’une vraie-fausse working girl toujours sur le gril de l’actu trépidante, et dont le palpitant aime à battre vite et fort. C’est vrai aussi de sa vie privée. Les pages qu’elle consacre à son défunt mari Pierre touchent au cœur, justement. À faire des rapprochements avec d’autres récents autoportraits, celui-là se situerait quelque part entre Oublier la nuit, du reporter Jean-Paul Mari (pour le fond journalistique) et Le Bonheur, sa dent douce à la mort, de la philosophe Barbara Cassin (pour la forme discontinue et combinatoire). Belle chronique d’une vie engagée.
Anthony Dufraisse
Éclats,
d’Alexandra Schwartzbrod
Mercure de France, « Traits et portraits », 220 pages, 20 €
Domaine français Chronique d’une vie
mai 2024 | Le Matricule des Anges n°253
| par
Anthony Dufraisse
Passionnants et passionnés, ces Éclats autobiographiques de la journaliste Alexandra Schwartzbrod.
Un livre
Chronique d’une vie
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°253
, mai 2024.