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Poésie Coupes, copeaux, courroie

mai 2024 | Le Matricule des Anges n°253 | par Emmanuel Laugier

Après Basse continue, le second livre de poésie de Jean-Christophe Bailly rassemble autant de poèmes qu’ils sont ici, chacun, un acte de ponctualité où le temps se plisse et s’ouvre, se saisit et s’échappe.

Le nouveau livre de poésie de Jean-Christophe Bailly, Temps réel, ne pouvait mieux se titrer en référant la valeur temporelle dont le poème fait son élan et sa matière. L’écrivain l’explicite lui-même dans le petit essai liminaire, le poème ne cesse de s’échapper, « de toujours poursuivre autre chose et sans doute d’abord cet écho de chose qui est l’autre nom de la résonance ». Quoiqu’on le définisse, le poème ne cesse de se déplacer, de noter à travers sa narration coupée si reconnaissable à Bailly, une multitude de « perceps », de souvenances, de méditations intuitivement greffées aux blocs des choses ici-bas répandues. Et le sens qui se dessine dans la yole du poème (figure dont Bailly fit son emblème discret en la dessinant) cherche à chaque fois le moment d’acmé où la moindre chose, la plus ordinaire, se transporte sans poids à sa juste place : et « à chaque fois c’est l’émotion de l’existence qui est éveillée », dont ce son d’un fruit dans l’herbe « que sa maturité/Suffit à faire choir » et que Pavese écrivit si fortement.
Temps réel est un long plan séquence sur lequel tous ces moments de « parution » s’encochent les uns avec les autres. À l’exemple de Col treno, que les photographies faites depuis le train de son ami Plossu accompagnent, chaque série de poèmes, chutes, « pièces détachées », « restes d’avril », promenades, à Nîmes, à Montpellier, à Blois sur les rives de la Loire après une fête de fin d’année à l’école du Paysage (ÉNSNP), s’apparente à « des incursions//et parfois tout va très vite et d’autres fois très/lentement – ces mouvements de caméra lente/quand on approche d’une gare sont les plus propices/à la méditation ». C’est une véritable « pluie-clinamen faisant image de toute eau », elle indique (via Lucrèce et la courbe légère des atomes) comment l’événement, le plus commun fait éclat dans la phrase-vers du poème. Ainsi que Dans le champ élargi, s’ouvrant sur une peinture d’Adolph Menzel représentant une main tenant un pot de couleur vide, Bailly médite sur ce « tunnel blanc/la conduite, le ductus des images/selon sa pente, selon sa ligne », quelle forme prendra-t-il pour être l’accueil du presque rien, du tout, de la transparence d’un verre d’eau, du saut d’un poisson. Chaque poème étant un copeau (mot cher de l’auteur) que le rabot du temps fait tournoyer dans l’espace, ainsi que ces vols d’étourneaux se rassemblant à des vitesses sidérales.
Des modes d’énonciation du poème que Bailly énumère en ouverture (simple, torsadé, furtif, didactique, narratif, journal, etc.), aucun ne se suffit pourtant à lui-même, mais tous se chevauchent et s’entretissent : Blanc sur noir, poème dit « hanté », s’étire en vers courts (peu fréquents face aux laisses amples des proses coupées de l’opus) sur la Spree, la neige « à Berlin sur les péniches/chargées de caractère chinois/cristaux posés sur plus noir que nuit/sans deuil (…)/formant la voûte/le ventre d’un dieu qui pèle/dans la barbe du papier ». Cent cinquante pages plus loin, ce lien avec l’Allemagne du romantisme, de Kant et de Benjamin ou Müller, se continue avec Etwas Anders, d’une ampleur bouleversante. Des barges de charbon à Celan au Lenz de Büchner, du voyage à Waldersbach d’où il partit au refus de tout sens positiviste (Adorno) par quoi le mot utopie préserve son honneur, du cycle russe (année 2000) dont la note écrite en 2022 sur l’invasion de l’Ukraine éclaire le « visage le plus désespérant et le plus honteux du XXe siècle », au Bazacle, dispositif sur les fleuves permettant aux saumons de remonter vers leur lieu de naissance, etc., la lente courroie des cycles se déploie encore. Mais elle se conjugue aussi au bond qui vient s’arracher à la gravité, car ni la balle ne retombe, ni la barque n’atteint une rive, de même que la flèche de l’archer, dans la grande tradition japonaise, vise la cible sans qu’aucune ne s’y attache comme fin. Le poème devient ainsi cette finalité sans fin. Il déchire la linéarité du temps, chaque perception se spiralant et s’étageant en nul autre pareil dans ses mille plateaux, dont seule son action restreinte garantit et justesse et probité.

Emmanuel Laugier

Temps réel,
Jean-Christophe Bailly
Seuil, « Fiction & Cie », 232 pages, 21

Coupes, copeaux, courroie Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°253 , mai 2024.
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