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Poésie Voici la multitude

septembre 2024 | Le Matricule des Anges n°256 | par Emmanuel Laugier

Premier livre de poésie traduit de Kathleen Jamie, La Révision s’inscrit dans la grande lignée de l’écologie profonde telle que Gary Snyder la pensa. Le recueil Sutra de l’Ours Smokey en éclaire la voie à nouveau.

Sutra de l’Ours Smokey

Dans l’un des poèmes de Reed College (1950-51) Gary Snyder (né en 1930 à San Francisco), pionnier de l’aventure poétique de la Beat generation, emblème d’une pensée décroissante avant-gardiste (bien avant Bernard Charbonneau, Jacques Ellul ou André Gorz) et représentant, avec Murray Bookchin, de la « Deep ecology », écrit « scruter ces touffes brunes :/une mince chose blanche pourrie/il y a longtemps//installer à présent une plaque de pierre trapue/pour que les fourmis s’y prélassent au soleil ». Ce mode d’attention, au presque rien, au minuscule, aux rebuts tels qu’ils envahissent et contaminent terre, eaux et ciel, Snyder l’a déployé en de nombreux livres, dès ses premiers opus, Riprab (1959) ou L’Arrière-Pays (cf. Lmda N° 236) paru en 1977. On retiendra de Sutra de l’Ours Smokey, coupe de poèmes épars (et parfois inégaux) écrits entre les années 1950 et 2000, et qu’achève un bel ensemble de poèmes traduits du chinois (Bai Juyi, poèmes T’ang, Wang Wei, Tu Fu, Po Chü-i, etc.), toute la cohérence de la démarche de Snyder. Celle-ci se diffracte selon les biais et « éclats argentés de la langue du glacier » ou selon que s’ouïe le bourdonnement de « mouches brillantes sur le sentier ». Là encore les échelles s’inversent mais les motifs restent tangibles. Ils agissent comme des balises clignotantes en une syntaxe parfois réduite à l’énumération de verbes, de phrases nominales, frôlant souvent l’effet de parataxes sans jamais pourtant oublier d’y faire sourdre l’évidence et l’ordinaire, scène de bain assis sur un parpaing, souvenir énigmatique de Robert Duncan, etc.
La syntaxe des poèmes de Kathleen Jamie qu’offre La Révision, après les proses poético-archéologiques de Tour d’horizon et de Strates, mêle également évidences et éclats réfractaires à toute réduction de sens. Malgré l’usage de la condensation, aussi rare chez Jamie que fréquent l’emploi du mode narratif, chaque poème se déplie comme une fleur de thé dans l’eau bouillante. Les corolles forment alors autant de voies d’accès aux rapports entre les hommes et la diversité du vivant. À l’exemple du chevreuil, « toujours un cervidé/émerge d’un fourré//depuis un certain temps déjà/c’est ainsi que ça se passe ». Jusqu’à ce que la question se déporte vers l’humain : « quelle forme je prends/je le sais à peine moi-même ». L’autoréflexion que le poème se fait, tournée vers sa forme comme vers celle qu’interroge toute anthropologie, Kathleen Jamie ne cesse de la relancer : « Tout recommencer. Au sud/– faisant face aux montagnes, balcons//de pins superposés – imagine/que nous puissions réparer//les fractures que nous aurions entendues :/l’éclatement du bois ». Toutes ces dérives, descriptives, en autant d’arrêts sur image (« simples grains de voix lumineuses/mere bright voices-motes » se multipliant), créent des régimes d’interpellations discrets. Ils nous saisissent autant qu’une cause sans délai, autant qu’un phare au loin balaie la mer pour signaler le cap : « voici le phare/superflu aujourd’hui. (…)/– la mer, bien sûr :/couture métallique/qui ferme l’horizon », voici qu’aucun « roitelet/ne zigzaguait dans le sous-bois,//aucune brindille ne craquait ». En des accents quasi dickinsoniens, Jamie touche là à un inactuel dont la fin des cycles et le retour d’hôtes providentiels forment la tresse imaginable de voix sauvegardées.
Il n’est pas anodin non plus que ce livre s’achève sur le poème « Materials », lequel dit bien, en visant ses outils, quel désastre laisseront tous nos projets. Le lyrisme feutré de La Révision (à la traduction impeccable) – aussi pudique que son tact empêche son sens d’être simple démonstration (si courante dans un écopoétisme généralisé facile) – appelle, in fine, à une veille générale, depuis l’endroit où « là-dessous il est impossible de respirer ».

Emmanuel Laugier

La Révision
(bilingue), de Kathleen Jamie
Traduit de l’anglais et de l’écossais par Christian Garcin,
La Baconnière, 96 pages, 12
Sutra de l’Ours Smokey,
de Gary Snyder
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Brice Matthieussent,
Le Réalgar, 108 pages, 22

Voici la multitude Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°256 , septembre 2024.
LMDA papier n°256
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LMDA PDF n°256
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