Écrit après l’explosion du port de Beyrouth, survenue le 4 août 2020, ce texte met en scène deux personnages. Un danseur libanais qui vit en France et qui, de passage à Beyrouth, doit renouveler son passeport pour rentrer. Et Aïda qui raconte l’histoire de cet homme qui fut l’élève de sa tante au Liban. Une histoire sans histoire pourrait-on dire car il ne s’agit que d’une formalité administrative. Mais le Liban est sans dessus dessous : crise économique, défaillance politique et la guerre toujours aux portes. « (…) un pays où toute infrastructure a quasiment disparu, où la corruption est aussi présente que l’humidité dans l’air, un pays qui perd son eau, qui perd son électricité, qui perd son gaz, qui perd ses banques ». Il y a une longue file d’attente pour obtenir le ticket qui permettra d’accéder au service compétent. Il faut être dans les premiers, venir très tôt le matin, sinon revenir le lendemain encore plus tôt, puis le surlendemain, toujours plus tôt. Ça n’en finit jamais. Kafka n’est pas loin.
En racontant cette histoire, Aïda revit sa première fois au Liban : « Choc des stigmates de la guerre, de la plaie ouverte de la guerre. » Les souvenirs affluent, avec leur lot de tristesse et de nostalgie. Dans la file d’attente, les gens parlent : des médicaments, difficiles à trouver, du prix des pâtes qui augmente sans cesse. Pas de révolte, ils ont l’habitude. Et quand enfin l’homme qui danse obtient le précieux ticket, ce ticket qui lui rappelle le ticket d’or de Charlie et la chocolaterie et qu’il projette de faire encadrer, ce n’est pas fini. Il faut d’autres papiers, un titre de séjour, un billet d’avion, qu’il n’a pas sur lui bien sûr. Finalement : « Tu es debout. / Tu tiens le passeport dans tes mains. / Tu ne trembles plus / Parce que tu te dis subitement : ce passeport sera mon dernier passeport libanais. » C’est un texte tendre, poétique, qui prend le parti de la douceur pour nous raconter la désespérance et le fatalisme de ceux que l’État continue désespérément à vouloir contrôler et qui devront toujours attendre leur tour dans la file.
PGB
Les Bras nus, « Les Grands Plateaux »,
68 pages, 14 €
Théâtre Ma nuit à Beyrouth de Mona El Yafi
mars 2025 | Le Matricule des Anges n°261
| par
Patrick Gay Bellile
Un livre
Ma nuit à Beyrouth de Mona El Yafi
Par
Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°261
, mars 2025.

