C’est un curieux voyage que nous faisons à la lecture du Cyrano de Martin Crimp, une libre adaptation de la pièce d’Edmond Rostand, traduite en français par Fabrice Melquiot. Certaines scènes de la pièce de Rostand, comme la fameuse tirade du nez bien sûr, font partie de notre patrimoine culturel. Martin Crimp garde la trame de l’histoire, mais revisite la figure de Cyrano en en faisant « le plus grand génie du spoken word », dixit Madame Ragueneau (le personnage de Ragueneau étant devenu une femme qui donne des cours de cuisine et d’écriture créative dans son salon de thé). Quant à Le Bret, son compagnon le plus proche, il décrit Cyrano comme « Un fou. Soldat. Écrivain. Expansif. Bizarre. Un maître de l’épée. Courageux. Honnête. Sauvage et cash. Un idéaliste en colère. » Martin Crimp invente pour son Cyrano une langue moderne, une parole libre, il en fait un poète hors pair qui se bat pour la liberté de création, refuse toute compromission avec les sponsors en tout genre et décline les conseils d’amis du style « embrasse le système – commence à t’impliquer – forme des alliances – ne te contente pas d’enrager. » Il y a bien sûr dans cette adaptation du dramaturge britannique l’histoire d’amour avec Roxane et la souffrance qui en découle, la question de la beauté et de la laideur, mais il y a surtout le pouvoir de la parole. « J’aime les mots, c’est un fait », dit Cyrano. « Et sans ça (il brandit son stylo), l’histoire de l’humanité tomberait/ dans un puits de crasse/ et on en perdrait la trace. »
Le Cyrano de Crimp fait du bien dans notre société par trop policée et lisse. Et tant pis si parfois on éprouve quelques regrets au souvenir, par exemple, du panache avec lequel le Cyrano de Rostand meurt. La fin qu’imagine Crimp est encore plus triste, Roxane étant entretenue par le comte de Guiche et Cyrano ne pouvant trouver le mot… de sa fin.
L.C.
Cyrano, de Martin Crimp
Traduit de l’anglais par Fabrice Melquiot, L’Arche, 160 pages, 15,50 €
Théâtre Cyrano
mars 2025 | Le Matricule des Anges n°261
| par
Laurence Cazaux
Un livre
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°261
, mars 2025.

