Sans doute est-ce là une forme de consécration : depuis deux ans le recueil d’Hélène Dorion Mes forêts est au programme du baccalauréat. Pour la première fois, c’est donc une poétesse bien vivante que l’on peut ainsi découvrir et étudier. Elle a par ailleurs reçu, en 2024, le Grand Prix de poésie de l’Académie française. Ce fort volume est donc bienvenu : il rassemble quatre ouvrages et nous permet de suivre un cheminement singulier, que la préface d’Évelyne Gagnon éclaire avec sagacité. Un visage appuyé contre le monde (1990) est une sorte de lettre à l’aimé, présent dans son absence : les motifs du silence, de la neige, du désert s’entrelacent alors que la voix tente de « saisir l’insaisissable », « l’existence ordinaire, fléchissante ». Sans bord, sans bout du monde (1995) est un chant du monde paradoxal comme l’annonce cet oxymore : c’est bien « les plus fragiles éternités » que le poème veut sauvegarder. La douleur est là, parfois, mais discrète, comme tenue en lisière : « Tu ne sais/ où te mène le vide inconsolé/ qui demeure en toi ». Si la voix y demeure assez semblable, Les Murs de la grotte (1998) témoigne peut-être d’une ambition autre : tentant de prendre « la mesure du monde » Hélène Dorion se penche à la fois vers l’origine (la grotte du titre est celle de la préhistoire, « quand le monde a commencé ») et donne à sa vision une dimension presque cosmologique, dialoguant parfois avec Héraclite. Enfin Fenêtres du temps (2000) semble le journal de bord d’un voyage en Allemagne et c’est le passé alors qui interroge – ainsi, à Berlin : « Les ruines remuent/ dans ses entrailles/ l’histoire soudain se colore/ brouillards et silences/ lavent le temps. Les images/ s’en vont en emportant leurs ombres ».
Thierry Cecille
Un visage appuyé contre le monde, d’Hélène Dorion
Poésie/Gallimard, 348 pages, 10,30 €
Poésie Un visage appuyé contre le monde et autres poèmes
mai 2025 | Le Matricule des Anges n°263
| par
Thierry Cecille
Un livre
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°263
, mai 2025.

