Armande Gobry-Valle, lauréate du Goncourt du premier roman 1991 avec Iblis ou la Défroque du serpent, s’est attachée dans Un Triptyque aux destins de trois femmes, trois générations d’une même lignée qui traverse le siècle. La vie quotidienne de trois femmes qui ont le malheur pour style de vie. Des histoires qui pourraient être banales. Seulement voilà : le regard de l’écrivain, son extrême délicatesse à nous inviter à venir voir d’un peu plus près cette détresse, cette pathétique course après la vie font de ces trois personnages des êtres de chair bouleversants.
Armande Gobry-Valle écrit sobrement ; c’est dans le choix des mots, dans les rythmes qui épousent les illusions, les espérances et, finalement, le désespoir de ses personnages qu’elle impose une lecture qu’on ne veut plus achever. Les choses semblent dites, à plat, comme des faits qui sont là, qu’il faut bien prendre en compte, un peu : « C’est au moment précis où Pascale s’assit dans le grand amphithéâtre de la faculté pour assister à son premier cours de la semaine que son père traversa le pare-brise de la camionnette. Il était onze heures. (…) Elle ne le reverrait plus ». Et Pascale passera sa semaine, à la fac, sans rien savoir de l’accident, sa mère n’ayant pas jugé utile de la prévenir. Voilà l’univers des personnages d’Armande Gobry-Valle. La maladie et la mort y règnent en maîtresses. Ainsi Marcelle, frappée par la maladie d’Alzheimer, qui oublie les gestes les plus simples. Elle marche et, tout à coup, s’arrête, ne sachant plus quel pied avancer : « Marcelle va mourir vivante, lentement emmurée en elle… ». Même l’amour est une maladie, une rage qui vous bouffe de l’intérieur : « …l’indifférence de Yann lui tordait les entrailles, l’empêchait de manger, la rendait de jour en jour plus maigre, presque transparente… Elle aurait voulu disparaître, se dissoudre, s’effacer de la vie. Yann ne l’avait jamais regardée, ne lui avait jamais parlé, elle n’existait donc pas, jamais n’existerait, jamais ne serait aimée : elle grattait son mal sans se lasser ». Armande Gobry-Valle enchaîne ainsi les phrases lancinantes, répétitives, puis elle casse le rythme par une constatation qui tombe comme un couperet. Il y a quelque chose de l’exécution dans cette écriture, le roulement de tambour qui précède la tombée de la lame. On en sort révolté, touché jusqu’à l’angoisse du faible poids de nos vies. On en sort plus humain peut-être. La première phrase du roman n’est pas ce qui pouvait se faire de mieux en la matière : « Les vieux meurent souvent en automne. Comme les feuilles ». Il n’empêche, il y a là tout le roman, cette fatalité devant la vie, cette insignifiance de nos existences.
Une vie qui ne paraît pas insignifiante aux yeux de l’auteur, ce fut celle de Savonarole, personnage central de sa première pièce de théâtre : La Convulsion des brasiers. Une œuvre anachronique et dans son sujet, dans son ampleur, et dans son traitement, proche de celui des grandes dramaturgies. Armande Gobry-Valle se dit fascinée par l’Italie, elle en retrouve, en tout cas, les voix. Lire ce théâtre, c’est déjà le voir joué, c’est déjà l’entendre.
Un triptyque et
La convulsion des brasiers
Armande Gobry-Valle
Viviane Hamy
150 p., 99 FF et 119 p., 79 FF
Domaine français Gobry-Valle pathétique
janvier 1993 | Le Matricule des Anges n°3
| par
Thierry Guichard
Les deux derniers livres d’Armande Gobry-Valle sont la signature d’un grand écrivain. Pourquoi ? Parce qu’ils sont porteurs de tant d’émotion que la tristesse devient un vrai bonheur.
Gobry-Valle pathétique
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°3
, janvier 1993.