- Présentation Ismail Kadaré, l’homme de pierre
- Bibliographie Perdu pour la lecture (les livres)
- Papier critique Il était quatre fois Kadaré
- Entretien L’imagination dissidente
- Autre papier Une histoire balkanique
- Autre papier Ballade sur la mort de J.G. (nouvelle inédite de I. Kadaré)
- Bibliographie Bibliographie
Selon un principe désormais bien établi, chaque livraison (annuelle) des
Œuvres complètes d’Ismail Kadaré comprend au moins un texte inédit. Ce
sixième tome ne fait pas exception à la règle et propose même une œuvre de
première importance, jusqu’alors restée dans les tiroirs tant en version
originale qu’en traduction : La Ville sans enseignes, premier roman
du prolifique écrivain albanais. Cette publication constitue une surprise
au moins à double titre. Il était en effet généralement entendu que la
carrière d’Ismail Kadaré avait débuté avec Le Général de l’armée morte (qui
figure également ici dans une version légèrement retouchée), et l’on
découvre de plus à cette occasion un écrivain déjà prometteur, mais
cependant encore loin d’être en pleine possession de son art, dont il
semblerait en outre que le vœu le plus cher soit de s’attirer les foudres
des autorités de son pays. Sur fond de pesant ennui provincial, que ne
parviennent pas même à dissiper beuveries et coucheries, ce récit met en
scène trois jeunes gens qui décident de hâter la gloire en fabriquant de
toutes pièces un manuscrit ancien censé prouver que le premier texte rédigé
en albanais était de caractère laïque et non pas religieux, et qu’il
comprenait de surcroît (à la fin du quatorzième siècle !) une ébauche du
concept de lutte des classes. Ajoutons à ceci quelques intrigues
secondaires autour d’un avortement clandestin et de quelques maladies
vénériennes, et l’on comprendra pourquoi Ismaïl Kadaré retarda la parution
intégrale de La Ville sans enseignes d’une quarantaine d’années, de crainte
de tuer dans l’œuf (au sens peut-être littéral de cette expression) son
destin d’écrivain. Une autre curiosité tient à ce que ce roman fut
également le premier qu’il situa dans sa ville natale de Gjirokastër (ici
appelée « N… »), bien avant Chronique de pierre (1985), consacré aux
années d’enfance, qui demeure l’un de ses plus beaux livres.
S’il abandonna volontairement la veine quelque peu prosaïque de son premier
livre, il fut en revanche contraint de ne pas donner suite aux promesses
d’une autre œuvre de jeunesse intitulée Le Monstre -qui clôt le
présent volume- interdite durant un quart de siècle par le régime albanais
(dans son Dialogue avec Alain Bosquet [Fayard, 1995] Ismail Kadaré
estima qu’il avait irrémédiablement perdu à cette occasion l’essentiel de
ses « cellules d’avant-garde »). L’on ne sait d’ailleurs si le titre
du livre désigne son protagoniste principal - un nouveau Cheval de Troie-
ou sa structure si singulière puisqu’il débute comme un vaudeville au Pays
des Aigles et se poursuit dans une manière de cinquième dimension, comme
l’explique Eric Faye (qui signe l’ensemble des notes d’introductions des
Œuvres complètes) dans sa présentation : « Ainsi l’espace de
Troie est-il transposé dans une ville albanaise et ses environs ; quant au
temps, il devient pluriel. Il n’évolue pas de la même façon selon qu’on
grelotte à l’intérieur du grand cheval qui piétine face à la...