La première Figure qu’ON retient, c’est le Trapèze. « Le Père faisait du Cirque ; et quand il déployait sa musculature, ça rendait un sacré boucan ; le petit père ; du raffut, malgré le fait qu’on n’avait ni raffiot ni cacugne. »
Depuis ce jour où il avait raté la barre et s’était écrasé sur les serres des maraîchers face à notre campement, où on l’avait vu sortir, dévitré, sanguinolent, puis descendre tragique et de dos -avec ses fameux trapèzes !- l’échelle de l’acrobatie vers l’Enfer, il avait compris qu’il atteindrait le Styx à travers cette géométrie variable en fumant et buvant de plus en plus, la peau de plus en plus sèche de desquamation serpentine s’écaillant sans tomber, et alourdissant son poids comme une cuirasse. Pas même la chance d’une mue !
Il n’y a plus que des histoires foraines, des balades embuées sous la pluie, les plis claqués des campements déplacés et chassés jusqu’à des coins de terres fumées et de troquets noirs, les abris de maisons changeant sans cesse sous les nuées en même temps que les visages des hôtesses, s’acharnant à chaque fois à réenfoncer les pieux et tendre la toile sur de semblables natures de sol et un même carré, les traits de visages et les voix de femmes ayant filé sec dans l’éclaircie du petit matin, à peine saisissables désormais dans un suspens du démontage comme un moment de prière pour cette religion des messages impalpables, la dernière possible avant d’entrer dans le jardin brun aux plaques étoilées.
ON pense tout de même bientôt toucher à la Face Divine seule, répartie parmi ces méandres boueux, ces odeurs d’encaustique et de chiottes, corps subtil répandu à travers les autres corps visibles ou non, et variable à chaque moment, à la Nappe Immense de Neige auprès de quoi tout est jaune pisseux, accrochée aux buissonnements et recouvrant les ferrailles, raidissement tendineux de milliers d’aspérités aspirant aux falaises, hérissements vifs sur toutes les extrémités, mais en lisière de bois, laissant surgir d’entre les ronces les derniers mûriers pourvoyeurs de baies rouges pour les merles noirs, minuscule bouche ouverte sur le visage poudré de sucre.
Où que son regard se pose, sur ces séquences photographiques extraites du coffre, ON ne distingue aucune figure : sur la numéro 4 il n’y a que des colonnes de livres, sur la 5 la boîte de verre des enfants terribles, sur la 6 une vue floue du vasistas vers le ciel ; sur la numéro 7 seulement, au milieu des instruments de l’altipodiste, une tête noire commence à apparaître, floue, entre les haltères de bois fort contre les montants du bas de la piste, mais c’est plutôt une ombre projetée de façon croisée par la bougie de « neige » blanche et la lampe à pétrole en céramique bleue, luisante, une ombre dont la redescente en creux du corps est sensible sur la ligne de droite, plutôt grise, tandis que suivant l’autre, plutôt noire, la tête dressée est levée d’un coup. Au-delà, il n’y a plus que les ciseaux, eux-mêmes devenus...
Dossier
Lydie Salvayre
Crampes (livre de Nycéphore, extrait inédit d’Onuma Nemon)
mai 1999 | Le Matricule des Anges n°26
Le livre de Nycéphore fait partie du monumental OGR d’Onuma Nemon. En voici un extrait inédit.
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