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Égarés, oubliés Pascal Pia, le plaisir de se faire oublier

mai 1999 | Le Matricule des Anges n°26 | par Éric Dussert

Erudit et mystificateur, copain de Malraux, mentor de Camus, il a éclairé des pans entiers de l’histoire littéraire et de la littérature érotique.

Les Livres de l’enfer, du XVIè siècle à nos jours

Il paraîtra illégitime à tous ceux qui connaissent Pascal Pia de le ranger parmi les oubliés. Ses essais sur Baudelaire (1952) ou sur Apollinaire (1954) et ses bibliographies savantes assurent qu’un esprit si profond, méthodique et travailleur ne peut rester longtemps dans les limbes. Que vient-il faire ici ? Curieusement, c’est à lui que le choix revient car en faisant défense à ses proches d’apporter leur voix au concert des jérémiades post-mortem il a souhaité l’oubli.
Selon la formule forgée par André Pieyre de Mandiargues pour Saint-Pol Roux, Pia a eu le « magnifique plaisir de se faire oublier ». Excessive modestie ou nihilisme scrupuleux seraient selon ses amis la cause de cette option. Ils lui ont pourtant désobéi afin de signaler durablement un personnage fascinant. Dès le préambule du collectif Pascal Pia publié par Jean José Marchand et Maurice Nadeau (Lettres Nouvelles, 1981), il est bien stipulé que l’ « ouvrage n’aurait pas eu l’agrément de Pascal Pia (…) Il s’était trop bien appliqué à ne jamais se mettre en avant ». Même transgression de Roger Grenier avec Pascal Pia ou le droit au néant (Gallimard, 1989) ou de Nadeau qui lui consacre un beau chapitre de Grâces leur soient rendues (Albin Michel, 1990). En 1935, Charles-Edgard (dit Eddy) Du Perron avait contourné la difficulté en masquant son ami sous les traits de Viala dans Le Pays d’origine (Gallimard, 1980).
Pascal Pia est né sous le nom de Pierre Durand le 15 août 1903. Entre cette date et celle de son décès le 27 septembre 1979, il fut un intellectuel polyvalent qui trouva à s’employer dans la presse et l’édition. On le trouve d’abord en compagnie d’André Malraux dans les années 1918-1919. Tous les deux chantent dans les cours d’immeuble et fournissent la librairie La Connaissance en livres anciens. Leurs débuts littéraires se font dans le cadre de la revue Action de Florent Fels. Ils y croisent André Salmon, Cocteau, Max Jacob et Edouard Dujardin dont Pia devient le secrétaire avant d’être embauché en 1921 comme nègre par les bibliographes Frédéric Lachèvre et Fernand Fleuret, une expérience comparable à celle qu’avait connue Cendrars aux côtés d’Apollinaire. Elle dévoile à Pia les arcanes de la Bibliothèque nationale dont il tirera des trésors.
Il se lance naturellement dans la publication d’ouvrages érotiques avec l’aide de libraires complices, René Bonnel et Robert Chatté. Les textes de Mac Orlan, Aragon, Bataille, Apollinaire sont vendus sous le manteau. Il signe quant à lui les éditions des pseudonymes Léger Alype, Pascal Fely, Avinin Mireur, le risque de poursuites en est diminué. Ce recours aux noms de fantaisie est un principe majeur chez Pia qui a choisi de se faire rare : sollicité par Gallimard, il refuse de corriger les épreuves du Bouquet d’orties, détruisant la trace des poèmes qu’il avait pourtant produits dans la NRF. Cas étrange d’effacement de cet homme érudit qui devient parallèlement un éminent spécialiste de la mystification jusqu’au fameux épisode de La Chasse spirituelle de Rimbaud. On ne sait toujours pas s’il fut victime ou instigateur de ce coup-là mais après la réaction d’André Breton qui a crié le premier au truquage (Flagrant délit, éd. Thésée, 1949) et les révélations par Akaka-Viala et Nicolas Bataille de leur canular, seul l’éditeur du Mercure de France Maurice Saillet s’est senti grugé au point de se retirer à la campagne, éprouvé. Pour nous éclairer sur cet épisode curieux de la vie littéraire d’après-guerre, seul un témoin de l’affaire pourrait encore nous éclairer, le fera-t-il ?
Tout en publiant des textes anciens (Bouquet poétique des médecins, dentistes et apothicaires…, Album zutique, etc.), Pia collabore à Voici (1935), corrige avec Louis Guilloux les épreuves de son chef-d’œuvre, Le Sang noir, devient chef de fab’ chez Albin Michel et entre en 1937 à la rédaction de Ce soir. Plus tard, il embauche le jeune Albert Camus à la rédaction d’Alger-Républicain qu’il quitte pour Paris-Soir. Pendant la guerre, il œuvre à Lyon pour la résistance en publiant le journal clandestin Combat dont il assurera la direction à la Libération avant de passer à l’agence Express de 1947 à 1951. Enfin, il collabore à l’hebdomadaire d’Emilien Amaury Carrefour où son talent de critique littéraire s’épanouit. Durant vingt-cinq ans, jusqu’à la fin du journal en 1978, il remet chaque semaine un article. De cet aspect de son travail, Roger Grenier écrit : « Le nom de l’homme ou de la femme de lettres les plus obscurs, ayant laissé jadis la plus éphémère des traces écrites, lui vient naturellement sous la plume. Qui d’autre se mettrait soudain à faire surgir d’un oubli que l’on croyait définitif, les noms de Sophie Cottin et d’Anaïs Ségalas ? (…) Cette chronique de Carrefour, il s’arrangeait pour en faire aussi, chaque semaine, une manière de bagne. Il y passait une nuit blanche. » Reste que l’apostalat se doublant de plaisir, Pia emprunte à Rutebeuf ses mots pour désigner son ouvrage : « Ce sont mes fêtes ».
Très festif décidément, Pia entreprend en 1976 un énorme travail pour le compte des libraires Coulet et Faure : la rédaction d’une bibliographie monumentale des Livres de l’Enfer. Prévu pour remplacer L’Enfer de la Bibliothèque nationale de Fleuret, Perceau et Apollinaire (1913), son livre paraît en 1978. Il est riche de 840 pages qui décrivent par le menu près de deux mille livres érotiques extirpés des profondeurs de la BN (où leur nature sulfureuse les a fait ranger) et de sa collection personnelle. Enrichie de notices complémentaires dont Pia avait truffé son exemplaire, la nouvelle édition élaborée par Patrick Fréchet convainc qu’il s’agit d’une somme essentielle car elle propose en plus des références physiques exactes des ouvrages, l’histoire de leur publication… et de leurs procès. L’expérience fut éreintante pour Pia. Au bibliographe Dassonville qui l’interrogeait, il écrivait en 1976 : « J’espère en venir à bout avant d’être anéanti ». Il y parvient de justesse. Contre sa volonté, il reste aujourd’hui son souvenir, ses œuvres et la promesse d’une édition des chroniques de Carrefour qui l’établiront définitivement comme l’un des plus grands érudits de la littérature du XXe siècle.

Les Livres de l’Enfer,
du XVIe siècle à nos jours
Pascal Pia

Fayard
890 pages, 290 FF

Pascal Pia, le plaisir de se faire oublier Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°26 , mai 1999.