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Zoom Le coulis, mode d’emploi

juin 2002 | Le Matricule des Anges n°39 | par Thierry Guichard

Comment des tomates ramassées en été, cuisinées en août et mangées en janvier ont donné naissance à un roman ludique. Portrait de deux artistes en frères d’écriture.

Trois heures trente à feu vif

Pour faire un bon coulis de tomates, il faut trois heures et demie de cuisine. Pour écrire un roman sur la fabrication du coulis de tomates, il faut être un peu cinglé. Pour l’écrire à deux, il faut être complètement maboul. L’incroyable, c’est qu’un tel roman a été écrit par un Narbonnais, Gilles Moraton, qui vit à Béziers où est né son complice, Fabrice Combes. Quand on connaît l’amour que se vouent l’une à l’autre les deux villes, on se dit que l’ONU pourrait donner le prix de la paix à Trois Heures trente à feu vif. Une récompense qui viendrait s’ajouter au Prix Grandgousier obtenu par la volonté de Robbe-Grillet au salon du livre (et du vin) de Saumur. L’ancien nouveau romancier ayant reconnu sous la couverture Gallimard, un livre qui aurait pu se vêtir du blanc des éditions de Minuit.
Construit à partir de contraintes, Trois Heures trente à feu vif se présente comme un exercice mathématique dont l’énoncé constitue, en fait, toute la narration du livre. Le « Sachant que » qui ouvre la scène amorce une longue phrase qui ne s’achèvera qu’avec le livre. Ce « sachant que » se répète inlassablement, introduisant à chaque fois un personnage, une situation, un événement. Il agit comme certains leitmotive dans les contes ou comptines pour enfants : sa répétition, attendue, développe une excitation et l’attente sans cesse différée d’une fin.
Ce qu’il faut savoir donc : qu’un homme prépare, dans une chaleur étouffante, des litres de coulis de tomates. Celles-ci attendent dans des cageots instables (du fait de l’humidité qui gonfle le bois) près d’une grande casserole d’eau bouillante. Que sa femme, « brune, bien sûr » et « dans une tenue légère » se prélasse dans le salon. Que leurs deux jeunes fils font leur vie, l’aîné en ouvrant au hasard des livres dont, justement, celui que l’on est en train de lire. Que dans la maison juste à droite, une jeune fille profite sensuellement de l’absence de ses parents. Absence écourtée par un adultère découvert, un incendie provoqué, une fuite silencieuse. Que dans l’immeuble à gauche, une jeune institutrice emménage, découvre la beauté d’un voisin, ignore l’activité délictueuse d’un couple de retraités. Que « le Petit Capitaine » vit dans un Tube Citroën au bout du jardin de notre cuisinier, d’où il est facile d’espionner chacun. Qu’il fabrique, pour la belle Rosy, des nains de jardin sur le modèle des personnalités de la ville qui fréquentent clandestinement la prostituée. Qu’il collectionne quantité d’objets trouvés ici ou là, pour le plaisir de Gilles Moraton qui dans ses livres, aime faire des listes. Il faudrait ajouter à cela, un chien et un chat, le soleil, des déménageurs et des membres des services secrets de l’État. Sachant cela, on galope chapitre après chapitre pour en savoir un peu plus.
Si le livre fait penser à Georges Perec, rien d’étonnant : l’auteur de La Vie mode d’emploi apparaît dans le tiercé gagnant des auteurs aimés de Fabrice Combes qui cite aussi Calvino, Moravia, Schnitzler, Flaubert, Queneau (beaucoup d’ex æquo dans ce tiercé) et de Gilles Moraton qui lui associe Duras.
Gilles Moraton dirige le fonds patrimonial et l’action culturelle à la bibliothèque municipale de Béziers. Le garçon (né en 1958) a déjà publié six autres livres dont Le Magasin des choses probables et La Promiscuité des vaches est mauvaise pour la santé des jeunes filles (L’Anabase). Il a commencé à écrire après avoir rencontré Caroline, sa femme, qui deviendra la Nina de Nina, un portrait (L’Anabase). Elle travaillait alors sur l’imposant projet de constituer une chronologie de la France avec… Fabrice Combes. Depuis neuf ans, le couple habite dans un village du biterrois où viennent les voir régulièrement Fabrice Combes et sa femme.
Devant la maison, le jardin s’étend en longueur jusqu’aux roseaux qui attendent la poussée des tomates. C’est ici, en fait, que le livre est né le premier janvier de l’an dernier. À l’époque, Fabrice Combes (né en 1965) poursuit à Strasbourg ses incessantes études (DEUG d’espagnol, DEA d’italien, diplôme d’interprétariat anglais/français, DEUG lettres modernes, licence de français langue étrangère) et sa traduction du livre d’Alessandro Manzoni (1785-1873) sur la Révolution française : « c’est un travail monstrueux que j’ai commencé avec Caroline, il y a sept ans ». Descendu dans le Sud avec sa femme, c’est sur la terrasse en bras de chemise (un premier de l’an !) que les deux couples vont déjeuner : pour le menu, Gilles Moraton a sorti quelques bouteilles de coulis de tomates-maison. On s’extasie, on glose sur le coulis et Fabrice Combes, fin cuisinier, lance l’idée d’écrire sur le sujet. Dans la lancée, il se met à l’ouvrage, réfrénant mal un désir d’écriture qui s’était exprimé jusqu’alors dans la rédaction d’albums pour enfants non publiés. C’est par correspondance que les deux auteurs vont s’envoyer leur production. Fabrice Combes écrit les chapitres impairs : la maison où se prépare le coulis et où ni les enfants, ni les parents ne sont nommés. « C’est miraculeux, comment ça s’est passé », dit-il en ajoutant que l’écriture à deux lui a permis de se lancer. Gilles Moraton, dans les scènes extérieures, se charge d’ajouter le piment des péripéties, portées par des personnages bien nommés. Extérieur/intérieur, description/action : l’écriture se déroule comme une partie d’attaque défense… « Lorsqu’on achevait un chapitre, on ne savait pas ce que l’autre allait écrire pour la suite. On n’a jamais interféré sur l’écriture de l’autre. » À mi-chemin, devant l’ampleur de la situation, les deux amis décident de planifier la suite. En septembre, le manuscrit est envoyé à Roger Grenier qui chez Gallimard avait déjà apprécié Nina, un portrait. Bonne pioche.
Plutôt que de s’extasier d’avoir publié son premier roman chez Gallimard, Fabrice Combes préfère évoquer avec gourmandise le prochain livre : un roman épistolaire en clin d’oeil au XVIIIe siècle. Écrit à quatre mains, bien sûr.

Trois Heures trente
à feu vif

Fabrice Combes
Gilles Moraton
Gallimard
133 pages, 12,90 euros

Le coulis, mode d’emploi Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°39 , juin 2002.
LMDA PDF n°39
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