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Zoom Maspero, l’aiguillon

novembre 2002 | Le Matricule des Anges n°41 | par Philippe Savary

De sa famille tombée sous la botte nazie à son ex-métier d’éditeur ou à son goût du voyage, l’écrivain déroule la chronique d’un engagement. Notes d’histoire.

Les Abeilles et la guêpe

Maspero, figure mythique de l’édition des années 60 et 70, éternel voyageur « étonné », intellectuel éclairé, dispose d’une lumière toute naturelle pour capter la réalité humaine. La sienne comme celle des autres. Depuis 1982, cet amoureux des langues traduit et écrit. « Mon ambition est de rendre compte de paysages humains ». Meurtris par l’Histoire. Là en Palestine, ici en Algérie, encore là à Cuba ou en ex-Yougoslavie. En ajoutant cette précision : « Plutôt que de regarder, dire : ça me regarde », selon le joli mot emprunté à un ami. Cette recommandation, il l’a suivie à la lettre avec Les Passagers du Roissy-express (1990) puis avec Balkans-Transit (1997). Le premier livre arpentait la banlieue parisienne, en suivant la ligne B du RER ; le second le « réseau gangréneux » des frontières de l’Europe centrale. Deux bonheurs de lecture, voix précieuses recueillies le long des routes, histoires de chacun, « noyées dans la grande Histoire ».
Avec Les Abeilles et la guêpe, ce qui se lit, c’est bien la parole d’un homme curieux du monde. Exigeante, libre, lucide et pudique. Elle parle de souffrances, d’amitiés, de solidarité. Et de convictions. Sans céder grand-chose à la nostalgie. Moins qu’une autobiographie, costume bien trop large pour ce discret passeur de culture, Les Abeilles et la guêpe est la chronique d’un « Pierrot lunaire » qui eut plusieurs vies depuis qu’un officier de la Gestapo l’épargna, à l’âge de 12 ans. Cette chronique mêle ainsi le passé et le présent, le proche et le lointain : la meilleure façon d’interroger notre avenir.
Pour tenter d’expliquer le parcours de Maspero, c’est sans doute par sa famille qu’il faut débuter. Une ascendance lourde à porter, pleine d’« ombres » et de lumière : un père sinologue et professeur au Collège de France, mort à Buchenwald ; une mère déportée à Ravensbrück. Du côté des aïeuls : un grand-père célèbre égyptologue, un autre cardiologue et ami de Fauré. Passons sur un grand-oncle prix Nobel de la paix. Il y a aussi Jean, son frère aîné et adoré. Il lisait Trotski, combattit l’occupation nazie au sein des FTP puis rejoignit l’armée américaine. Il tomba en septembre 1944 aux bords de la Moselle, il avait à peine 20 ans. François, enfant de la guerre né en 1932 (déjà exploré dans Le Sourire du chat, 1984), enfant de déportés qui recherche les traces de son père. Maspero y consacre de longues pages émouvantes. Constat amer (documents à l’appui) : « J’ai appris très tôt à me méfier des survivants et de leurs témoignages. » À l’ombre de ce passé, Maspero craignait d’être un « imposteur ». Il fera son propre chemin. En autodidacte. En réaction. « De toutes ces abeilles qui m’avaient précédé, je n’avais rien gardé du miel, seulement l’aiguillon. J’étais bien devenu une guêpe ». Incontrôlable.
On le sait, François Maspero fut le libraire-éditeur symbole de l’engagement gauchiste. « Porteur de valises » du Réseau Jeanson, il accompagna également la Révolution castriste (avant que l’intelligentia européenne -qui se plaignait « de manger trop de langouste froide » à La Havane !- accourt par charters), collectionna les expulsions et fréquenta assidûment les prétoires. Créée en 1956, sa librairie du Quartier latin était un lieu efferverscent où soufflait l’air du grand large. L’avenir s’y inventait pour ceux qui refusaient la bipolarisation du monde. Même « le visiteur le plus imprévu pouvait (…) devenir un auteur ». Chacun s’y pressait : la jeunesse en quête d’éducation sentimentale, la police en quête de saisies, les gardes le jour tombé pour prévenir les attentats des partisans de l’Algérie française. « Arrêtez cet énergumène à lunettes », lançait un commissaire avant l’assaut. C’était au siècle dernier. Éditeur « à visage découvert en ce temps de silence », Maspero publia tous azimuts ce qui pouvait rabattre « l’orgueil dément » occidental. « Cahiers libres », sa première et célèbre collection, portait cette alarme empruntée à Péguy : « Ces Cahiers auront contre eux tous les menteurs et tous les salauds c’est-à-dire l’immense majorité de tous les partis ». L’Humanité répondait à celui qui adhéra à la Ligue communiste : « Maspero publie ce que ne publie pas le rebut des rebuts ». La faillite emporta la librairie en 1975 à cause des vols et des condamnations. Quant à l’aventure éditoriale (et collective), elle s’épuisa en 1982 avec le dernier tome des Récits de Kolyma de Chalamov avant que La Découverte et François Gèze reprennent le fonds. « Égal à zéro », trancha un audit. Ce qui le fait sourire.
Que grâce lui soit rendue ? Maspero parle d’irrationnel, de désir, de fantaisie lorsqu’il commente ses catalogues, témoignages à ciel ouvert de toutes les luttes de libération. « Imperméable à la théorie », si cet artisan « bricoleur » éprouve quelque fierté, ça serait peut-être celles-ci : la survivance quarante ans plus tard de sa collection « Textes à l’appui » et L’Alternative, revue consacrée aux voix dissidentes des pays de l’Est, qu’il a dirigée de1978 à 1984. Maspero n’oublie pas non plus ceux qu’il a aimés ou ceux qui l’ont accompagné : le fidèle Pierre Vidal-Naquet, l’avocat Georges Pinet, la militante révolutionnaire Michèle Firk, l’écrivain Francesco Biamonti, l’éditeur-imprimeur Guy Lévis Mano, etc.
Maspero hait les grands airs : « peur des grandes formules sensées, rejet de l’installation définitive, dégoût du statut social et du pouvoir ». Et rêve toujours d’un monde sans frontières. Jouant à saute-mouton avec le passé et le présent, Maspero retourne aussi ici à ce qui le hante. L’Algérie toujours, avec cet État qui gouverne par la force et le mépris : « Les familles n’ont plus pour garder leurs repères que le repli sur le rêve qui les soude : une maison à elles, construite brique à brique et sou à sou. » La Bosnie, encore, dont « l’odeur de mort » colle aux semelles de sa dernière « errance » en 99. La purification éthnique a fait son œuvre. « Ici, on se méfie d’un inconnu qui parle la même langue que soi. » Désolation de voir ces déplacés qui vont voir ce qu’est devenue leur maison en empruntant les lignes de bus « inter-identitaires ».
Mémoire vive, pensée à contre-courant, François Maspero est un témoin « concerné » par son temps. Farouchement partisan, quand il s’agit de dignité humaine. Les Abeilles et la guêpe ne dit rien d’autre.

Les Abeilles et la guÊPE
François Maspero
Seuil
282 pages, 20

Maspero, l’aiguillon Par Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°41 , novembre 2002.
LMDA PDF n°41
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