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Intemporels Pons à l’âge de pierre

septembre 2003 | Le Matricule des Anges n°46 | par Didier Garcia

Gel, pluie, froideur extrême et pourriture : portrait de l’homme en animal, traînant dans la boue sa détresse et son horreur. Saisissant.

Après de vagues études de philosophie, rapidement abandonnées, Maurice Pons, né en 1927, publie un roman insolent inspiré de Stendhal, Métrobate (1951), puis un recueil de nouvelles (Les Virginales, 1955), qui a le double mérite de déplaire à François Mauriac, ce qui le met aussitôt à la mode, et de servir de base à Truffaut pour le scénario de Les Mistons. En 1957, il se retire au Moulin d’Andé dans l’Eure, devient un des signataires du Manifeste des 121 sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie, et rédige un récit subversif sur cet épisode historique (Passager de la nuit, 1960), qui circule alors à Fresnes et à la Santé. Il s’attelle ensuite à la rédaction d’un cauchemar, une véritable plongée en enfer : Les Saisons, qu’il publie en 1965.
Lorsque Siméon arrive à San-Creps, avec pour tout viatique un havresac contenant quatre ramettes de papier, chacun se barricade. C’est que le village ne reçoit guère de visiteurs ; ses habitants y vivent comme l’homme de Cro-Magnon, s’y nourrissant exclusivement de lentilles, et s’y ennuyant ferme : pour tuer le temps, ils en sont même réduits à organiser des concours d’extraction des vers de la peau. Autant l’avouer : San-Creps n’a rien d’un village touristique. Pauvre, ce serait encore peu dire. Plutôt miséreux, envahi par le fumier et par la boue, surgi d’on ne sait quel Moyen Âge, avec des femmes marchant sous la pluie, les vêtements trempés, plaqués sur leur corps squelettique, avec une expression farouche dans le regard. Il y pleut sans relâche pendant seize mois, et lorsque le gel s’y installe, c’est pour plus de trois ans ! Et le simple fait de demander du lait pour nourrir un chat passe ici pour « une perversion inouïe, offensante, une débauche ».
Pourquoi Siméon décide-t-il de s’y installer ? Transfuge de Siméon Stylite (qui vécut quarante ans au sommet d’une colonne), il y vient pour écrire, pour se délivrer des images de charniers qui le hantent, ou de celle de sa sœur morte passant nue sous ses yeux dans un camp. Et pour écrire, rien de tel qu’un bon isolement, voire une réclusion : « celui qui veut essayer de reconstruire quelque chose, il faut qu’il reparte de rien, ou de presque rien ».
Commence alors pour lui une odyssée qui rappelle celle du Molloy de Beckett. Une femme lui offre d’abord une scène saisissante, en introduisant dans son vagin une petite grenouille (on apprendra un peu plus tard que le batracien lui sert de contraceptif). Puis son état de santé se dégrade. Il est une première fois remis en forme par un médecin peu orthodoxe, qui lui guérit une plaie à l’orteil en aspirant le pus avec sa propre bouche. Mais ne pouvant plus rien contre un pied gangrené, il le donne en pâture à un âne, qui s’empresse de grignoter la chair pourrie. Hommes et bêtes y sont pour ainsi dire habitués : San-Creps est le royaume de la pourriture.
Les malheurs de Siméon touchent à leur paroxysme lorsque après une fornication publique avec celle qu’il convoite, il reste prisonnier de son sexe, ou plus exactement de la bouche du batracien, qui entre-temps a grossi. Pas d’autre solution pour le médecin de fortune que d’émasculer son patient.
Un jour, deux cavaliers s’arrêtent à San-Creps. Ils distribuent aux villageois des grains de riz, qu’ils récoltent ailleurs, dans une belle vallée, située quelque part, de l’autre côté des montagnes. Sans avoir couché la moindre ligne de ce roman qu’il convoitait d’écrire, Siméon décide alors de quitter ce coin maudit pour trouver un monde meilleur qui lui semble soudain à portée de la main. Évidemment, tout le village lui emboîte le pas (une bonne partie de la troupe paie de sa vie cette ultime expédition). Parvenus enfin au col, et alors qu’ils s’apprêtent à descendre vers une vallée encore masquée par la neige, ils croisent un autre cortège en exil, lui aussi motivé par les paroles des cavaliers, cherchant de l’autre côté du col sa terre promise. Comprenant soudain que rien ne pourra plus l’arracher à son sort, le village se retourne alors contre Siméon, et le lapide sur un ossuaire.
Le récit ne souffre aucun temps mort, aucun répit : chaque nouvelle ligne le plonge davantage dans l’horreur. C’est rude, violent, parfois bestial, à la fois sordide et délicat, écrit dans une langue sans fioriture, mais d’une efficacité redoutable, une langue étrangement désinvolte qui sait dire à la fois l’horreur d’être sur terre et la beauté d’un corps féminin entraperçu derrière une vitre. Le pire, ce n’est pas tant ce déchaînement de violence, ni cette cruauté souvent gratuite, que la totale absence d’espoir : derrière, il n’y a rien, sinon de la neige, de la misère, du désespoir ; pire encore : cela continue, exactement comme avant.

Les Saisons
Maurice Pons
Christian Bourgois
224 pages, 15,24

Pons à l’âge de pierre Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°46 , septembre 2003.
LMDA PDF n°46
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