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Zoom Né quelque part

septembre 2003 | Le Matricule des Anges n°46 | par Pascal Paillardet

Dans un premier roman ambitieux par l’acuité de son propos, Oliver Rohe décrit l’échec d’une tentative pour se libérer de la camisole des origines.

Défaut d’origine

Illustration(s) de Altmann
Editions Allia

Rares sont les écrivains qui osent, dès leur première pelletée de prose, s’affranchir du labour où trépignent des Champollion de bacs à sable. Sur ces parcelles cent fois ameublies, des Cripure en pain de mie s’affairent à déchiffrer les plis de leurs nombrils et hasardent des postures pour dissimuler l’affaissement de la pensée. À 30 ans, Oliver Rohe s’est retranché de cette coopérative des gratte-motte pour établir son campement dans les éboulis d’une vie déjà griffée. Des décombres qui ont enseveli l’enfance et l’adolescence, il ne dira rien, rebelle à toute saignée. « En 1990, j’ai fui avec ma mère et ma sœur un pays en guerre pour m’installer à Paris. J’avais dix-sept ans. Après une année d’études de droit à Assas, je suis retourné durant un an dans ce pays que je ne veux pas nommer, avant de revenir en France ». Désavouant par la gravité de sa parole une apparence de dandy cueilli à l’aube dans la confrérie des noctambules pâles et évanescents, Oliver Rohe affirme sans ambiguïtés ses convictions. Il récuse la nostalgie des origines impudiquement flattées, le « sentimentalisme mercantile » de la littérature de l’exil. « On écrit pour affronter tout ce qui nous a fait : la langue, les racines, le pays natal. Les écrivains qui pleurent un pays perdu exercent un chantage à l’exotisme. Né à Dublin, Samuel Beckett s’est dépouillé de sa langue maternelle et a écrit en français ; Franz Kafka, écrivain tchèque issu d’une famille juive, écrivait en allemand ; et l’Autrichien Thomas Bernhard, l’une de mes références, affrontait son pays… »
Filet d’amertume jugulé par cette exigence, la veine du monologue intérieur qui traverse Défaut d’origine est irriguée par ce sang noir. Écrit en français, dans cette langue étudiée dans un lycée de la ville natale puis apprise et maîtrisée à Paris, ce roman à l’impulsion autobiographique fut mis en chantier en décembre 2001. « Je n’ai pas l’âme d’un conteur. Si l’écriture n’a pas excédé sept ou huit mois, j’ai longtemps cherché la forme et la structure du récit ». Mise en scène des pensées iconoclastes d’Oliver Rohe, le livre s’édifie dans le huis clos de l’avion de ligne qui ramène le narrateur dans son pays d’origine pays d’Europe de l’Est, du Moyen-Orient, d’Amérique latine ou d’Afrique, qu’importe. Après dix années à tenter d’oublier cette « décharge spirituelle, intellectuelle et linguistique », dix années aussi à répudier une langue maternelle ressentie comme une « chose bâtarde et molle et informe », l’apatride avoue l’échec de cette quête du déracinement. L’imposture se révèle lors d’une évocation escortée jusqu’aux frontières de la schizophrénie par le souvenir d’un ami d’autrefois, Roman, un double peut-être. « Ce livre est l’histoire de quelqu’un qui n’arrive pas à situer en lui-même le lieu de la parole. Un échec logé au cœur même de l’écriture, dit Oliver Rohe. Il est inutile d’écrire sans avoir la conscience que l’on est en train d’échouer. Écrire est une forme d’exécution. Le langage porte en lui la mise à mort de ce dont il parle ». Cet ancien journaliste de Chronic’art, co-auteur avec Pierre Bottura du recueil collectif Le Cadavre bouge encore (Chronic’art/Léo Scheer) fait émerger Défaut d’origine dans les déblais d’une guerre contemporaine, où motifs idéologiques et politiques s’estompent au profit d’une avidité mafieuse. « La guerre que j’ai vécue n’était qu’une guerre de gangs, une guerre où l’on n’a plus besoin de permis de tuer. J’appartiens à une génération très violente. À l’époque où je vivais dans mon pays, c’était la baston toutes les nuits. L’un de mes amis s’est fait tirer dessus un soir du Nouvel An. Je me suis refusé à la description des scènes de guerre pour décrire les répercussions d’un conflit sur la destruction des mémoires, le pourrissement absolu des mentalités ».
Moulé dans des ruines, Défaut d’origine est avant tout un roman sur le mimétisme, la mémoire, le langage. Ambitieux, ce livre affirme la supercherie de toute prétention à la singularité. « La notion d’individu n’a aucun sens. Il n’y a que des résidus d’individualité, et le but, forcément inaccessible, est d’essayer de les gommer ». Une même impossibilité à inventer un « mot à soi » condamne l’écrivain au silence, ou à l’imitation. « À chaque fois que vous lisez un auteur, vous découvrez une parcelle de terrain déjà occupée. Tous les grands auteurs conduisent à une impasse ; ils ouvrent un horizon infini en même temps qu’ils l’obstruent. Un chef-d’œuvre n’est jamais un creuset, c’est une tombe ». Dans son arpent prometteur, Oliver Rohe extirpe ses racines. Il ensevelit son passé, et un peu d’horizon.

Défaut d’origine
Oliver Rohe
Allia
158 pages, 6,10

Né quelque part Par Pascal Paillardet
Le Matricule des Anges n°46 , septembre 2003.
LMDA PDF n°46
4,00