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Poésie Eperdument

janvier 2004 | Le Matricule des Anges n°49 | par Richard Blin

Caroline Sagot Duvauroux nous invite à la suivre dans le dédale somptueux de ses épopées intérieures. Une voix qui rend l’instant aussi soluble que perpétuel.

Le deuxième recueil de Caroline Sagot Duvauroux est déroutant, intransigeant mais irradié de la beauté des oracles. Une écriture qui relève d’une forme aventureuse de la poésie, celle des présences déboîtées, du corps à corps avec l’obtuse réalité mais aussi de ces intuitions à l’état brut qui ouvrent de nouveaux horizons. Une façon très organique de se frayer un chemin dans la forêt des mots. Une sorte d’étonnement primitif qui entre hébétude et vertige théâtralise déchirure et ressac jusqu’à l’assomption d’une forme comme hébétée de violence. Car tout, ici, est perçu, ressenti, évalué au prisme d’une douleur très personnelle déroulant ses échos au fil d’un voyage total.
Un voyage qui est épreuve. On avance dans des paysages qui se modèlent sur des émotions pures. On voyage dans du temps ouvert, suspendu. Ça vogue et ça vire, ça tangue et ça roule dans un réel transfiguré par le jeu des ellipses ou des hiatus entre regard et objet, présence et absence, attente et désir.
C’est qu’il faut traverser la mer pour accomplir sa vie. Comme Io, la vierge dédiée au taureau, celle à qui l’amour de Zeus coûtera folie et la malédiction. Ou comme Gonzalo, l’amant perdu. Autant d’histoires de métamorphoses et d’exil qui, comme les anneaux d’une même chaîne, relient les destins de toutes celles qui, folles d’amour, se virent trahies.
Quand à l’amour a succédé « la catastrophe des parois », que reste-t-il à sauver ? « Il n’y a pas pays où revenir comme à la fin souvent des merveilles. Alors j’ente le bord de devenir et les férocités de la présence. Je me cale dans un train. Alors glissent la présence et les rêves de la présence. Parfois le croc comme pour chiffonnier dans le tas ». Et d’en ramener des morceaux de ce qui a disparu « doigts langue et pucellerie », des bouts de l’inconnaissable nuit, des instants intrépides ou englués dans un temps qui se ramasse ou s’étire, des réverbérations non édulcorées de ces cris dont l’écho ne cesse de hanter. « Atatao. Cri de dégoût qui suit le carnage ou le spasme et qui fomente le caillot. Atatao et la coagulation ».
Croisant « les grands champs du massacre ordinaire » les mains, les langues qu’on coupe, les bêtes qu’on traque, les filles qu’on laisse au bord d’aimer, tout ce dont témoignait déjà, à sa façon Hourvari dans la lette (José Corti, 2002), Atatao nous fait rôder aux abords des forêts shakespeariennes, écouter « l’infini mensonge qui est voix multiple du mythe », partager la violence et le mystérieux précipité de douleur et d’évidence éviscérée qu’est l’amour quand il se vit encore dans le tant pis et le trop tard, ou dans la malédiction et la chute sans fin « entre l’écorce et l’arbre ».
La force et l’inouï de l’écriture de Caroline Sagot Duvauroux tiennent à la forme d’intimité que sa langue instaure avec un univers où « l’ombre est l’ange de la chose », où l’attente a parfois des allures de gloire, où la tendresse comme la plaie relève d’une forme de participation primitive au monde. « Nous irions, voudrais-tu, voir éclore les bulles au fond des océans, des naseaux hydrauliques et des coquillages minuscules qui font, pont et coquelicots, c’est écrit le poème. Regarderions beaucoup, voudrais-tu, car ne saurions être coquillages, ayant pulvérisé la coquille par engorgements successifs ».
Au miroir grossissant d’une langue saturée de corrélations, gonflée d’exaltation contenue, pantelante de rétention, une langue où les mots semblent autant d’obstacles à lever, c’est « l’émiettement du dedans sur le nu du dehors », et tout ce qui lie le tragique à la nuit dont nous sommes faits, qui affleurent. Mais en tentant d’extraire le chant tapi au fond de chaque cri, c’est son auteur que cette parole des profondeurs expose, tout autant qu’elle montre la face cachée, le profil et l’envers de ce qui la meut et la remue. Une écriture dont la tension met en lumière les réalités inconnues dont nous sommes porteurs autant qu’elle dit la ruine du possible dans l’impossible. D’où ces mots toujours en passe de s’égarer et cette étrange sensation de déséquilibre toujours rattrapé in extremis ; d’où aussi cette forme d’obscurité symétrique à celle de l’être.
« Qu’est-ce qui fait l’incompréhensible dans la poésie ? Sa liberté ? L’étrange pardon de ce qu’on ignore attendre ? Le pardon de vivre ? L’inutilité urgente, urgente du voyage ? L’opacité du corps vivant du poète devant le poème ? » Qu’importe quand elle se fait arme et profanation dans l’épreuve de l’étranger et l’audace du dire.

Atatao
Caroline Sagot Duvauroux
José Corti
160 pages, 14,50

Eperdument Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°49 , janvier 2004.