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C’est un effet de flou en lieu et place du poème, avec des mises au point plus ou plus moins nettes, qui font qu’on s’avance ou qu’on recule, qu’on se retrouve ou qu’on se perd, glissant sur la ligne du vers sans trop savoir où l’on va, mais le voyant bien, voyant précisément qu’on ne sait pas ce qu’on voit. C’est dans le vers un mouvement minutieux pour s’approcher de ce qu’on cherche à saisir, une présence de l’autre, un détail du jour, une impression, mais à trop s’approcher on ne voit plus rien, les détails vus de trop près sont des monstres marins et l’on devient dans la lecture du poème un enfant ou quelque chose d’approchant.
C’est, comme le disent les poèmes, un flou très précis, c’est-à-dire une sorte de vague sentiment des choses qui va s’intensifiant, une présence fuyante à soi-même qui fait qu’on s’y retrouve, une sorte de vide de la conscience où tout apparaîtrait très distinctement, une perte apaisée à soi-même, à ses repères et ses cadres, un décentrement progressif qui donnerait consistance plus grande, qui ferait comme une sensualité intime des choses et de soi, comme une intimité dans l’étrangeté d’un sentiment.
C’est dans chaque poème de La Voie des airs une phrase aléatoire qui passe par des points très éloignés sans jamais recomposer d’autre figure qu’une sorte de kaléidoscope sonore. Une phrase désastreuse et qui dans la méticulosité de sa dissémination fabriquerait quelque chose comme du bonheur, dans la vitesse avec laquelle elle redistribue les cartes, dans la promptitude de ses miroitements qui font que ce qu’on lit n’est pas ce qu’on lit ou que ce qu’on vit n’est pas ce qu’on vit, bref qui mine de rien redistribue le réel selon des virtualités déplacées, dans l’activation des virtualités et le bonheur, donc, d’une sorte de « dérangement » perpétuel, de « connaissance intime du chaos ».
C’est une voix qui se pose dans une sorte d’étrangeté à elle-même, comme en dessous d’elle-même, pour une mue ou une métamorphose. C’est dans chaque poème plusieurs voix et comme lorsque la musique est trop forte dans « l’avalanche du stroboscope » on se rapprocherait pour parler sans rien dire, juste par désir, dans ce vide que c’est de parler pour personne, qui est le vide merveilleux du poème, au sens où il n’y aurait rien à y lire que de complètement arbitraire et gratuit, de léger comme l’air. Oui, c’est à la lecture de La Voie des airs, une sorte de devenir à soi-même inconnu et aérien au gré de l’impossibilité d’une phrase devenue possible dans la forme du poème même. C’est aussi, disons-le au risque de se tromper, quelque chose comme une histoire d’amour qu’on n’attendait pas, dont le mode de lecture serait subliminal. Ce serait presque rien, si l’on s’entend sur l’idée que le rien est dans la précision progressive du flou quelque chose comme la naissance d’un sentiment nouveau.
La Voie des airs de Pierre Alferi, P.O.L, 86 pages, 19