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Domaine français Vouloir dormir nuit

avril 2004 | Le Matricule des Anges n°52 | par Jean Laurenti

À trop chercher le sommeil le narrateur de Georges Picard devient un insomniaque et transmet au lecteur son incrédulité face au réel.

Le Bar de l’insomnie

Quel est le but de votre existence ? Quel est le but, le sens de ma vie ? demande inlassablement le narrateur du Bar de l’insomnie. Question que beaucoup de ses frères humains se posent au sortir d’une bonne nuit de sommeil. Mais justement, lui ne dort pas, ne parvient plus à dormir. Et l’insomnie lui procure un état qui bouleverse la forme et l’issue du questionnement, chamboule son métabolisme et sa perception. « Arriver à l’inconnu par le dérèglement de tous les sens », écrivait Rimbaud. Pour le poète, comme pour l’insomniaque, « les souffrances sont énormes ». Les symptômes psychiques et physiologiques de la privation de sommeil se succèdent : douleurs oculaires déclinées dans leurs multiples manifestations, démarche d’automate déréglé, perte des repères temporels, du sens logique, hallucinations… (quiconque aura vécu, même à un degré moindre, un tel manque se reconnaîtra) « Je » devient « un autre » qui échappe de plus en plus au sujet, éradique toute certitude, jusqu’à celle de l’identité. Le narrateur appelons-le Pierre Allouet, même si rien n’est certain est atteint d’ « autoscopie », pathologie qui opère en lui un dédoublement par quoi il parvient à se voir agissant.
De lui et des causes de son insomnie, on saura peu de chose. Il écrit des articles pour différentes revues (dont un en cours sur le commerce des objets funéraires) et habite une chambre dans un immeuble insalubre de Paris peuplé de squatters et de « locataires distraits ». Lorsqu’il part errer dans la ville, un Vampire vient gémir dans son lit et lire ses livres. Comme il ne dort pas, il peut s’adonner à sa passion, le cinéma, et rechercher l’apaisement de la somnolence grâce à « l’effet hallucinatoire » du défilement des images. C’est en quittant la file d’attente du film Nosferatu le Vampire qu’il découvre en face du cinéma un bar qu’il a déjà vu « quelque part, dieu sait où, mais cette antériorité imprécise me fit comme un devoir d’y entrer. » L’atmosphère onirique et feutrée de l’établissement rappelle celle d’un film de David Lynch. Une seule cliente, Erda, fait face au barman, Charlie, qui manipule son « grimoire », c’est-à-dire une boîte contenant un miroir : « ce que j’ai vu dans ce miroir, dira le narrateur, c’était mon propre visage, mais interprété en quelque sorte dans une langue qui m’était inconnue. » Une langue qu’il va apprendre à connaître auprès de ces deux fantômes de la nuit, ses frère et sœur d’insomnie.
Dans son livre précédent, Tous fous, Georges Picard faisait part de son idée d’un « Club de la folie conséquente », dans lequel disserteraient quelques initiés triés sur le volet. On retrouve ici l’idée d’un lieu propice à une parole différente, « une thébaïde » débarrassée des conventions, des préoccupations communes. Dans le huis clos du café, les gestes adoptent une amplitude nouvelle, le temps, grammatical et chronologique, s’étire selon des modalités singulières : « Son corps tomba lentement, très lentement, comme une tige gorgée d’eau. Son corps tomba et tombe encore… (…) Elle tombait, elle tombe encore et fredonne… Soudain, elle s’arrêta. »
Les conversations du trio penchent du côté du théâtre de l’absurde. Le patron de Charlie dort constamment sur une banquette du café : « Laissez-le dormir, s’empressa de répéter Charlie. Pendant qu’il pionce, il ne me surveille pas. Vous ne faites rien de mal. Je ne fais rien, c’est tout. »
Comme toujours chez Picard, la tonalité est volontiers ironique et les travers de l’époque sont ici allégrement épinglés par l’adoption du point de vue somnambulique. Ainsi une observation sarcastique de l’industrie touristique de Montmartre incite le narrateur à pondérer sa quête du sommeil salvateur : « Valait-il vraiment la peine de dormir huit heures par nuit pour ça ? » se demande-t-il avec une mauvaise foi assumée.
On pourra regretter que l’issue du récit lui donne les allures d’une parenthèse qui se clôt avec les paupières de Pierre Allouet. Mais au moins ce dernier aura-t-il pour un temps ouvert en grand les fenêtres de la perception.

Le Bar de
l’insomnie

Georges Picard
José Corti
224 pages, 15,50

Vouloir dormir nuit Par Jean Laurenti
Le Matricule des Anges n°52 , avril 2004.
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