Une très vieille femme s’échappe d’une ambulance et vient mourir devant la Fabrique de conserves Léandro 1908. Sa vieille Fabrique, aujourd’hui habitée par des gens de la « troisième vague », comprenez du Cap-Vert. C’est l’été, sous le soleil, la vie tourne au ralenti. Pour s’occuper de l’enterrement de l’aïeule, il n’y a personne. Toute la richissime famille est partie aux quatre coins du monde. Sauf Mylène. Mylène, 30 ans et l’entendement d’une adolescente de quinze. Elle est le boulet, la tâche obscure du clan. Sa mère, hôtesse de l’air l’ayant abandonnée à la naissance, son père l’a confiée à la défunte. Mylène tombera amoureuse pour la première fois et ce d’Antonino, veuf, père de trois enfants et locataire de la Fabrique. Choc de cultures, choc de classes sociales aussi. D’un côté des gens vivant dépenaillés, dans la musique et la joie. De l’autre, des oncles et des tantes faisant partie des notabilités de cette région du sud du Portugal, se répartissant les pouvoirs dans la discrétion et le respect apparent d’un ordre, dont ils sont les garants.
Le roman pourrait prendre des airs de Roméo et Juliette mais ici, ce n’est pas le scénario qui importe. Certes il y aura crime, un crime terrible et insidieux, parce que crime à retardement, crime sur le futur. Mais chez Lídia Jorge, ce qui prime, c’est la manière d’aller au plus près des êtres, des petites et grandes douleurs, des cruautés, des coups de griffes des bêtes humaines. Pour ce faire elle utilise la plume comme une caméra, gros plans fixes, panoramiques, travellings étourdissants, slaloms, nous fait pénétrer dans des intérieurs ténébreux pour ensuite nous amener sous une lumière crue, alterne plan horizontal et verticalité… Pour certains, le cheminement apparaîtra difficile, labyrinthique, pour d’autres, il sera initiatique, permettra même de trouver sa place, dans le roman et au-delà. N’allez toutefois pas croire que ce livre est un produit new-age, éthéré, c’est aussi un formidable cri de révolte qui offre de singuliers portraits de racistes ordinaires et démocrates, évoque la voracité de la promotion immobilière qui anéantit les derniers sites naturels, dénonce l’artificialité du langage publicitaire ou de la communication. « Un amour ne se raconte ni ne se décrit, sous peine de paraître risible. Car aucun amour n’est risible, surtout un amour ordinaire. »
Le Vent qui souffle dans les grues de Lídia Jorge
Traduit du portugais par Geneviève Leibrich
Métailié, 440 pages, 22 €
Dossier
Lídia Jorge
Vilain petit canard
avril 2004 | Le Matricule des Anges n°52
| par
Dominique Aussenac
Un auteur
Un livre