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Zoom Les grandes foulées

mai 2004 | Le Matricule des Anges n°53 | par Éric Dussert

Céline Minard déboule avec un roman d’une originalité estomaquante. « R. » ou les marches solitaires du petit-neveu de Rousseau.

Céline Minard est bluffante. Son premier roman, R., abordé innocemment se révèle une œuvre forte. On lève un sourcil confondu. Où nous mène-t-elle donc ? Diablement équipée, Céline Minard organise une course en terre dauphinoise dont, évidemment, elle est le guide démiurgique (à tendance facétieuse). Il fallait un cicerone pour pénétrer son pays d’ « incroyables lanterneries (…) certainement pas (…) du goût de nos professeurs, quoique soigneusement adaptées des anciens ». D’ailleurs, R. pourrait s’intituler Aire ou Erre.
La figure centrale de cette déambulation formidable pour ne pas user du mot « fabuleuse » qui accentue certain cousinage littéraire bien perceptible, Ambroise Rousseau de Markôn, jeune homme sans occupation, décide de suivre les traces de Rousseau, « celui qui avait marché » entre Annecy, Chambéry, Soleure et Paris mais n’a pas laissé de récit de son ambulation désormais historique. R., dit aussi « le mieux loti des vagabonds » avec sa tente du Vieux Campeur, a donc choisi le GR 96 (chemin de grande randonnée dont Céline Minard a retrouvé le tracé sur des cartes du XVIIe siècle conservées par l’IGN). Il est bien le descendant de Rousseau. Ses « rêveries esseulées » sont ponctuées de rares coups du sort et de charmantes rencontres. Au détour d’un lacet, il vibre de poésie. On dirait Thoreau ou mieux encore l’Obermann de Senancour. Dire qu’on nage en plein bonheur paraîtra maladroit car ici R. marche, progresse donc entre souffrances et exaltations. Si l’on est d’abord surpris par sa langue Grand Siècle, on s’adapte aisément avant de s’apercevoir que ses afféteries s’effacent. Car la langue aussi est en route, contrairement à celle de Gabrielle Wittkop qui ne démordait pas de sa vêture classique. Chez Céline Minard, les morceaux de bravoure ne sont pas d’efforts stylistiques seulement. On les trouve dans ses échappements philosophiques, dans ses insinuations érotiques délicates et drôles, dans sa gracieuse manipulation des sciences ou encore ses exclamations qui ponctuent avec naturel d’un clin d’œil jetenfoutriste des développements argumentés. Céline Minard peut tout se permettre. Elle a déjà une patte. Elle écrit comme on tanne. Son cuir c’est la page, le « soliloque halluciné » (D. Poncet) de R., vaillant piéton, chercheur de pépites, combineur de possibles et épicurien gourmand d’expériences nouvelles. De l’ensauvagement complet à la tétrapodie dans les torrents.
Pierre Louÿs écrivait en préambule d’Aphrodite : « Ceux qui n’ont pas senti jusqu’à leur limite, soit pour les aimer, soit pour les maudire, les exigences de la chair, sont par là même incapables de comprendre toute l’étendue des exigences de l’esprit. » C’est aussi le point de vue qu’offre R. dont le romantisme évacue tout pathos. Pas la jubilation en revanche, ni l’humour. Il s’agit de raconter des histoires en y mêlant ce qui fascine : les sciences, les mathématiques, les abstractions du monde dans la fréquentation de Spinoza, Descartes et, peut-être, les mondes inverses de Cyrano de Bergerac ou Rétif de la Bretonne.
R. est un merveilleux éloge de la marche. L’esprit de C.-A. Cingria aurait pu veiller sur ce texte, quand bien même le grand Helvète appréciait d’abord la bicyclette. À l’évidence, les mânes de l’arpenteur Arno Schmidt survolent eux aussi ce roman crapahuteur. Rien des anachronismes mesurés et joliment amusants ne les effrayera. Puisque la barre Ovomaltine est effectivement « cette chose délicieuse entre toutes ». Et le personnage du géodésien peleur de patates semble provenir de la plume de l’Allemand, de même telle joute oratoire sur la locomotion humaine. Avec Schmidt, la jeune romancière (elle est née en 1969 à Rouen) partage le soin des choses mesurées, des savoirs anciens et des expérimentations précises. Témoigne son intérêt pour les drogues corporelles (andomorphine et adrénaline) générées par l’effort de la marche en montagne, mais aussi son analyse méticuleuse estomaquante de fidélité des pensées du marcheur et du rythme de ses pas, lesquels font alternativement « tatoutoutatoutata » et « RRRtata », des souffrances physiques ou morales du « marcheur de tête » et cette invraisemblable « mouise » qui moud les réflexions dans la boue des angoisses, culpabilités et autres avanies avant de les disperser. Vérifiez donc.
Interrogée, Céline Minard confessera son admiration pour Marcel Schwob et Jean-Patrick Manchette : « Manchette c’est zéro gras, un grand, un qui transforme la physionomie du lecteur, un de la vitesse accélérée. » Tout est là : sens du rythme, du punch, de la poigne et de la langue. La vitesse et la puissance, la précision et la densité, la malice et l’intelligence. Soyons bien clairs pour finir : R. est un livre magistral qui évite tous les écueils du premier roman. Servi bienveillamment par l’éditeur, Henri Poncet, et sa graphiste, Fanette Mellier, qui n’ont pas lésiné sur les moyens (dépliant, papier de couleur), il annonce l’œuvre d’un écrivain. Montez en marche et gare devant.

R.
Céline Minard
Éditions Comp’act
248 pages, 19

Les grandes foulées Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°53 , mai 2004.
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