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Poésie Le souffle du patineur

janvier 2005 | Le Matricule des Anges n°59 | par Richard Blin

Le temps qui passe, les faubourgs, l’enfance, l’insaisissable beauté, Jacques Réda y écorche son âme… dans la lumière du vent et au rythme des Nombres qui nous gouvernent.

L' Adoption du Système métrique

Le ton Réda, la marque Réda, c’est peut-être une façon de disparaître dans la voix de ses poèmes. La voix, c’est l’écriture, l’ombre vive du travail silencieux de l’écriture, un mode singulier d’élocution, une forme et une formulation dont l’arrangement et les variations rythmiques sont à l’image du grand glissement universel qui emporte nos vies comme il emporte et emportera tout ce qui existe. Ainsi du soleil qui nourrit ce qu’il engloutira. « Je prendrai tout mon temps pour bien vous digérer.// Puis je me mangerai comme une confiture/ De groseilles ardentes et j’éclaterai, pot/ Au feu sous un excès de ma température./ Personne aux environs ne sauvera sa peau.// Ni moi. C’est calculé très juste, au millénaire / Près. Je vous trouve heureux, mes enfants, de pouvoir / Choisir qu’on vous inhume ou qu’on vous incinère/ Après un court instant sous mon vaste arrosoir,// Et croire qu’en suivant une morale honnête/ Vous connaîtrez avec le vide un au-delà,/ Ou quelque autre soleil sur une autre planète/ Si cet espoir ne vous laisse pas chocolat. »
De sa démarche de crabe patineur c’est-à-dire à coups d’enchaînements glissés, de cadences qui imposent au vers leur courbure, et au rythme de la syncope ou du contretemps, Jacques Réda fait s’épouser mètre et mouvement au fil de poèmes écrits entre 1999 et 2003, et dont l’unité réside dans l’adoption du système métrique, ce grand principe moteur, antérieur encore à ce qu’on appelle inspiration, mystère, poésie, et qui est le rythme même de ce qui nous arpente et « tient nos souffles et nos pas ».
Le style Réda, c’est l’art de prendre le pouls d’un moment, de mettre en résonance le plus individuel avec le plus commun, de greffer l’incongru sur l’archétypal, de donner à voir le télescopage du sublime et du prosaïque. C’est montrer et démontrer que le Beau est toujours bizarre, c’est forcer l’évidence jusqu’à rendre palpable l’énigme du visible. C’est conjuguer l’étonnement d’être (sous un ciel toujours changeant) à l’étonnement d’avoir été. Car notre homme sait qu’on n’existe que par hasard, que notre destin nous condamne à flotter un instant « entre le charbon et les étoiles », et qu’il est vain de chercher à saisir au sein de la métamorphose universelle le sens d’une vie. « On dirait qu’une illusion joueuse se promène/ À travers l’absence de tout, qu’elle nous a voulus/ Comme elle veut des océans, des montagnes, des glaces/ Dont l’énormité rassure… »
Dérive ontologique entre naître et mourir, qui passe par la plus passionnée des attentions et la plus subtile des vigilances, qui pousse au voyage comme au vagabondage, invite à voir des accords là où tout semble désaccordé, et permet de saisir, par exemple, « les rages, les émois, les arrière-pensées/ Que nourrit la lumière en glissant d’un ciel lourd/ Pour éveiller un pré, rendormir un labour/ Filer dans un ruisseau, dans les vitres cassées/ D’une usine que l’abandon change en palais/ Ruminant tout au fond d’une steppe mongole ». Le voyageur devient alors, surtout lorsqu’il est en train, le centre immobile d’un espace en mouvement, et c’est le monde qui se met à voyager en lui.
Pour Jacques Réda, le sentir est lié au mouvement, à l’esprit rimbaldien de la fugue. Partir, c’est devenir perméable aux circulations d’énergie qui rythment et structurent l’espace, c’est croire à la mystique de l’événement, à la rencontre de ces équilibres miraculeux qu’on doit aux conjonctions du hasard et du déterminé, ou aux conjurations du rêve et de la réalité. Mais c’est aussi accepter d’être confronté à des lieux qui peuvent soudain ranimer un souvenir, évoquer un âge disparu, ou souligner la disgrâce du temps présent ainsi qu’en témoignent les nombreuses élégies que comporte ce recueil.
C’est cette matière-émotion et tout ce qu’elle draine d’éphémère et d’intemporel, d’essentiel et de dérisoire, que Jacques Réda pétrit et plie au moule d’un mètre qui n’a rien de commun avec « celui en platine du pavillon de Breteuil ». Art de transmutation qui fait du vers régulier « le corps d’une volupté qu’on partage avec le langage, première et peut-être suffisante manifestation de la poésie en tant que passage d’une réalité dans des mots ». Un vers qui joue de l’élasticité du E muet en adoptant le système de la langue parlée qui fait que ce qui s’écrit « Je ne crois pas », peut se dire « Je n’crois pas » ou même « J’crois pas ». Ces vers qui doivent être lus sans tenir compte des E muets que le langage parlé élimine naturellement, et que Jacques Réda appelle « mâchés », sont sa façon de donner corps à une démarche, de faire swinguer la langue, de mettre en musique le pessimisme gai qui est le sien. Donnée salvatrice qui sauve momentanément celui qui se prépare « à l’emploi durable de défunt », et photographie son ombre « afin qu’elle au moins se souvienne de (lui)  ». Mais en attendant le « fatal aiguillage », il est déjà reparti débusquer l’insaisissable beauté, bien décidé à la traquer jusque « sur les chemins perdus que suit l’aveugle éternité ».

L’Adoption du système métrique
de Jacques Réda
Gallimard, 125 pages, 11

Le souffle du patineur Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°59 , janvier 2005.
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