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Poésie Nue sous la langue

janvier 2005 | Le Matricule des Anges n°59 | par Richard Blin

Posséder, sentir, épouser l’intensité d’être, s’enfoncer dans la pulpe noire des soubassements de l’instinct, Carole Darricarrère, qui est née en 1959, à Abidjan, sait. Et assume. « Le poète n’a pas peur de ses émotions, ni de l’affection qui le lie au vivant. Le moi du poète est incontournablement lyrique et exalté, quand bien même il en aurait honte », peut-on lire dans Le (Je de Léna), son quatrième livre après La Tentation du bleu (Farrago, 1999), Tectonique des plaques (Comp’Act, 2001) et Le Sermon sous la langue (Seghers, 2003). Intrigué, nous nous sommes donc précipités sur ce Sermon, et avons découvert un livre qui emporte et soulève. Déroulant hardiment ses levées débridées d’images, il conjugue ses féeries aux crêtes d’une vie se souvenant de ses sources. La fièvre, le flux, ondoyant, bondissant d’une écriture gorgée de bleu et des éclats d’une enfance solitaire et nomade. La tension, la violence d’un affrontement incestueux à la mère sur fond de mise à l’épreuve incantatoire du réel. Une écriture qui procède de façon toute rimbaldienne, qui progresse par illumination du cœur, évaluation des possibles, diffusion du désir, célébration de la pulsion créatrice lorsqu’elle se met à transcender toutes les oppositions.
« Par cœur ou de mémoire j’avalerai les laitances et le sein de pierre gémissant après la voix des déesses j’écouterai les statues/ D’où viens-tu bleu dans ce ciel enfant et pur, alors que j’étais là étendu et calme devant les peintres/ Et que mon désir est rouge cependant que de partout tu me parviens, me débordes, m’inondes/ Me désignes me fécondes et m’enseignes/ Tandis que je dansai pour mieux t’atteindre (…)/ J’ai vu l’ambre et l’or sur la plaine parvenir dans le jus vert des ombres, relever les cendres (…)/ Deux lèvres de lumière fouetteront bleu cocher en gant d’ailes/ Après les nuits destituantes le ralentissement des galops doux aux talons de sable… » Une voix qui vibre à l’unisson de ce qu’elle met à nu, qui multiplie les variations d’angle de vue (« Je serai suspendu/ regardant à l’envers// À l’envers tous les gris/ s’emparfument de couleurs, jaune Alice, Bleu Léna… »), et qui donne à entendre quelque chose comme la langue rêvée des éblouissements perdus et d’une navigation sous le ciel des hautes mers intérieures.
Avec Le (Je) de Léna, le ton, l’organisation du livre, le propos changent. Mais, comme pour Le Sermon sous la langue tout entier inséré entre deux citations quasi programmatiques (« La parole n’évolue que dans le jour. Elle est l’oiseau dont l’ombre est l’écriture » (Edmond Jabès), et « Sans peur, sans arrière-pensée, et sans effort, on laissera jaillir de l’espace de l’esprit des chants jamais entendus » (Tantra de la Roue du Temps) Le (Je) de Léna s’intercale entre deux nouvelles citations du même Jabès. Quant à la Léna du titre, ce n’est pas une inconnue non plus, car elle hantait déjà Le Sermon. Léna, ses cheveux orange, ses yeux de sirène, « Léna jour et nuit chair/ et ciel », son « dos lyrique », « son épaule d’oiseleur/ surtout ce trait profond qui séparait les fesses en deux pommes / pâles… » Un mirage, un rêve, la femme-poème, l’Eve fuyante qui rend la parole à la fois possible et impossible, qui incarne l’intériorité invisible du poète et se joue de toutes les limites. « Quelqu’un me manque qui ne m’est jamais apparu que de dos. Quelqu’un m’enseigne je l’appelle Léna, une apparition, un mirage, cependant un lien.// Je suis le (Je) de Léna, l’envers d’un dieu, celui qui ne voit jamais rien qu’à grand-peine et de dos, celui que traverse parfois ce qui frontalement jamais ne s’énonce ni ne se prononce, d’une longue phrase inarticulée, quelques bribes, je suis celui qui doute, un homme. »
Un homme, parce que l’écriture de Carole Darricarrère (on l’avait peut-être déjà remarqué) est une écriture hermaphrodite, une écriture à double foyer, celle d’un Je qui se diffracte (« Je est un autre », bien sûr…), d’un Je tiraillé entre masculin et féminin, désir et séduction, prose et poésie, texte et Poème. « Le Poème est le féminin du texte ». « Lorsque le Poème est reçu par le texte, le Poème entre dans sa phase passive. Le Poème et le texte se tiennent respectivement à l’interface de deux systèmes qui agissent tels des vases communicants. Le texte fixe et fige un fragment du Poème alors que celui-ci est pur mouvement ».
Léna est l’âme de cette quête poétique autant que sensuelle et spirituelle. Elle est celle qui aide à voir et à sentir autrement et plus fort (« Imagine que tu es un garçon, que tu as une verge pileuse, et de très petits seins ronds ». « Imagine que tu n’aies plus ni jambes ni bras… », ou « que tu ne saches plus/ Ni lire/ Ni écrire/ Ni parler »). Elle est celle qui invite, « Viens me voir. Viens me rendre visite. Que je te gâte, que je caresse tes illusions dans le sens du poil (…). La vie est à partir du corps (…). Nous serons tour à tour esclaves, homme, femme, dieux… »
À partir de ces figures du passage, de l’identité clivée et de l’impossible réciprocité ; à travers ces jeux d’échos entre désirs et illusions, entre voix et voies qui se cherchent ou se répondent, Carole Darricarrère réaffirme son refus de la clôture et montre combien écrire, c’est habiter l’écart, vivre dans le déséquilibre, arpenter un espace de sursis et d’errance. Une voix à suivre tant elle sait aussi combien la poésie peut être cette silhouette miraculeusement belle, apparaissant parfois à la lisière de l’outrance, ou marchant sur les eaux.

Le (Je) de Léna
Carole DarricarrÈre
Melville éditeur
160 pages, 12

* La revue Le Nouveau Recueil propose dans son numéro de décembre-février 2005 un petit ensemble magnifique de Carole Darricarrère, « Latex lyrique », extrait d’un livre en cours, Fragments sur les ailettes (journal de dérive).

Nue sous la langue Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°59 , janvier 2005.
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