La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Histoire littéraire Un homme dérangeant

septembre 2005 | Le Matricule des Anges n°66 | par Franck Mannoni

Leonardo Sciascia a dédié sa vie à la défense de l’honnêteté et de la justice. Dix ans de son parcours, présentés dans ce journal, illustrent l’étendue de son combat.

Noir sur noir

D’abord instituteur, puis conseiller municipal de Palerme, député européen et député national, Leonardo Sciascia (1921-1989) a traversé ce XXe siècle en incarnant l’intellectuel engagé par excellence. Amoureux de sa Sicile natale, il a commencé à chanter les louanges de l’île dans des recueils de poèmes tout en portant son attention sur les problèmes de ses compatriotes. Le Jour de la chouette (1961), un admirable roman sur la mafia, l’a porté aux nues. À tel point que son livre a été adapté au cinéma dès 1968 avec Claudia Cardinale en vedette. Pour l’époque : une consécration populaire après un gros succès en librairie. Ses écrits portent chaque fois en eux la trace d’une petite révolution qui chatouille les puissants comme l’homme de la rue. Les uns y reconnaissent un clientélisme bien ancré, les autres retrouvent leur statut de victimes, parfois consentantes, d’un système perverti.
Dans la période couverte par ce journal, qui s’étend de 1969 à 1979, une œuvre majeure a été écrite par Sciascia, Todo Modo. Encore un chef-d’œuvre de critique sociale porté à l’écran, cette fois par Elio Petri, avec Marcello Mastroianni dans le rôle principal. Todo Modo montre comment les politiciens les plus influents d’Italie, réunis dans un monastère, tentent de marchander entre eux l’avenir politique du pays. Dans un climat oppressant, presque étouffant, la rencontre tenue secrète se transforme en thriller lorsque des membres invités sont mystérieusement assassinés. Les débats, comme les crimes, sont arbitrés par des représentants de l’Église. Le livre, à la fois essai politique, pamphlet et polar, reflète à merveille la réalité italienne de l’époque où tout se mêle. Un mélange qui soutient le journal de Sciascia. Tous les articles, dont aucun ne porte de date, croisent son expérience personnelle avec des anecdotes rapportées, des lectures anciennes à des faits divers récents, les confidences de mafieux emprisonnés avec les propos rapportés d’un préfet.
Laïque convaincu, Sciascia est également un observateur sans concession de l’Église italienne. Tout cela, parsemé par cette ironie, ce détachement léger et subtil qui rendent ses traits imparables. Le titre lui-même, Noir sur noir, est « une sorte de riposte parodique à l’accusation de pessimisme » dont il fait traditionnellement l’objet. Militant infatigable, Sciascia est un pessimiste actif, de ceux qui croient encore que les choses peuvent changer. Quelle verve lorsqu’il décrit « Palerme, où les ordures montent jusqu’aux genoux et la mafia jusqu’à la gorge ». Quel humour lorsqu’il poignarde les « moralistes, espèce réduite d’attardés, par bonheur en voie de totale disparition ». Quelle subtilité enfin, lorsque apaisé il écrit : « C’est ainsi : il faut toujours savoir attendre, entre réalité et poésie, que l’équation s’accomplisse ».
Et pour accompagner ses idées fortes, toujours, Sciascia puise dans le réservoir inépuisable de sa culture personnelle. Pirandello, Dostoïevski, Stendhal, Kundera, Rousseau, Voltaire, Foucault : leurs romans ou leurs essais ont nourri sa réflexion. Archiviste amateur à ses heures, il n’hésite pas à commenter l’attribution des prénoms en Sicile pendant les siècles passés, les résultats d’élections, les rapports officiels de faits mafieux remontant jusqu’au XVIIIe siècle. Tout cela, peut-être pour le seul plaisir « d’écrire un livre, un article, une note en sachant, puis en vérifiant concrètement, que dix ou dix mille fanatiques qui tomberont dessus en auront les tripes retournées, blêmiront et nous détesteront ».
Un aspect manque toutefois dans cette collection qui va de la simple phrase au court essai : les données personnelles. Bien peu de choses transparaissent sur un auteur finalement discret, peut-être plus facilement décrit par ses œuvres, ses articles et ses interventions que par des confidences impudiques.

Noir sur noir
Leonardo Sciascia
Traduit de l’italien par Nino Frank et Corinne Lucas
Fayard
379 pages, 18

Un homme dérangeant Par Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°66 , septembre 2005.