La Rumeur des îles blanches (suivi de) Grand erg
Il a la parole brève, lapidée de lumière, ouverte aux vibrations fragiles de la beauté. Son vers est fait d’écoute et de regards, d’appel et d’accueil. Des poèmes brûlés de blancheur, d’attentes embrasées, de vent plus ou moins fleuri, d’invisibles rumeurs, d’apparitions parfumées. Il faut imaginer un feu toujours baptismal, et autour duquel le poème édifierait sa demeure. « Maison de papier / découpée par des ciseaux de feu / donne-moi ta table / ton assise / et ton lit / laisse-moi vivre / sur ta racine de pierre // donne-moi ta poussière de lumière / des fleurs et des jours / le temps / dans son mortier / transparent… » Une manière de restaurer ou de rejoindre une intégrité perdue, pour ce fils de marin, qu’est Luis Mizón. Né à Valparaiso, au Chili, en 1942, il y a vécu jusqu’au coup d’État militaire de 1974, avant de gagner la France où il vit toujours. Encouragé par Roger Caillois qui découvrit ses premiers poèmes avec ferveur et les traduisit, (relayé ensuite, dans cette tâche, par Claude Couffon), Mizón a publié depuis Poèmes du sud (1982) de très nombreux ouvrages qui lui valent aujourd’hui d’être reconnu comme l’un des auteurs majeurs de la littérature latino-américaine.
La Rumeur des îles blanches comme Grand Erg nous rendent à l’éclat nu de l’origine, à son dépouillement aussi essentiel que hanté. Exercices de fidélité et témoignages d’allégeance à cette province intérieure où demeure, indéracinable, tout ce qui l’a forgé et modelé : une hantise charnelle de l’élémentaire, la matière-émotion de sa complicité avec la nature, les couleurs secrètes des premières fascinations. Un univers personnel, un chant du monde, qui est un cosmos ordonné où chaque élément a sa raison d’être, sa place, sa présence. Un équilibre plus qu’une harmonie, l’écho d’une passion d’être en phase avec les grands rythmes. Un concert de sympathies qui accordent, ou raccordent, au monde. « Et moi je ris / quand le vent / me donne des baisers de papillon / sur les côtes / et quand dans la rosée de la baignade / la vague me châtie / avec ses mains d’ombre bleue / et ses grappes de glycine blanche ».
Homme séparé, homme exilé, Luis Mizón, qui sait combien l’écriture s’inaugure souvent d’un deuil, n’en est que plus attentif aux conjonctions amoureuses, à l’éblouissante douceur de l’offrande. « Qui nous attache ? / qui nous menace ? / nous protège une jeune danseuse / nue / les bras levés / dans ses mains / brillent / castagnettes de coquillages / secret de cigale ». Une façon d’être à soi et au monde face à l’impact et à l’énigme de la révélation charnelle, ou face à l’intense quand il se condense ou se contracte sur le silence d’un secret ou la belle insolence de ce qui, soudain, surgit. « Un troupeau de mammouths transparents / traverse le désert / immense paysage de silence / ce grillon est le rire de Cervantès / qu’on entend si loin ». C’est que, chez Mizón, tout respire ensemble, les éléments qui composent le paysage comme les saveurs, les souvenirs, la rêverie. Son poème en livre la substance intime, en dit l’éclat lumineux et la source toujours vive.
Luis Mizón est poète par le socle de ses racines, par goût du silence et du souffle. Il écrit du même geste dont se peignent les femmes de son pays « ici les femmes / se peignent nues / avec des longues tresses d’ombre / sur les murs ». Sa maison est construite de mots, et c’est sur le mur de ses pages que viennent trembler l’ombre des présences qu’il réveille. Écriture d’émanation, de caresse du regard et d’horizons blessés aussi. Mais écriture qui maintient vivant « l’objet » perdu, et auréole d’un peu de magie la brûlure lente du temps et du sel des larmes. « Écoute / le conte bégayant qui fleurit / je suis encore / la braise vivante / d’une maison brûlée / la craie du ciel / l’écriture martelée / du rien ».
La Rumeur des Îles blanches
(suivi de)
Grand Erg
(avec seize peintures de Jean-Michel
Marchetti)
Luis Mizón
La Dragonne
64 pages, 15 €