Cette anthologie préparée par Lyonel Trouillot, composée de textes écrits depuis 1992, nous initie à une œuvre fortement engagée et toujours en cours, celle du poète Georges Castera, comptant parmi les figures fondatrices de la modernité poétique haïtienne. Né fils de médecin dans les années 1930, il quitte l’île en 1956, alors qu’il écrit déjà activement en créole, pour n’y revenir qu’après la chute du deuxième Duvalier, assurément nourri de ses importantes activités en France, en Espagne et à New York. Rebelle sans être factieuse, forte d’une longue expérience de la révolte et de l’exil, et tout aussi bien célébration du corps, l’œuvre défend vigoureusement l’insoumission : « Et même quand la mort se glisse/ furtive/ dans la tête d’une mouche/ pour mieux tracer l’épure du temps/ agis ». On peut lire au cœur de ces morceaux choisis l’importance que revêtent les mots dans la rébellion, où le poème devient instrument de percussion et de répercussion, également l’importance d’être habité et d’habiter. La langue et l’encre sont la demeure, le meilleur abri protégeant des bourrasques et des assassins, tout comme le doute est une promesse, une preuve du changement possible, et dont il faut s’accorder le droit sans attendre : « Celui qui lance la pierre bâtit la maison. » Dans la rage politique, le poème constitue, avec l’amour, la part d’absolu de l’auteur. Les enfants témoins d’attentats sont des fleurs, mais il ne faut rien oublier de la misère, et ne pas attendre Dieu. Dans les bruits de verre cassé, la musique des catastrophes, l’odeur des maisons brûlées, et à portée du « folklore de la mer », quelqu’un cherche et s’agite. Il faut certainement l’écouter.
Hélène Pelletier
L’Encre est ma demeure de Georges Castera
(anthologie établie et préfacée par Lyonel Trouillot), Actes Sud, 80 pages, 18 €
Poésie Habiter le doute
mai 2006 | Le Matricule des Anges n°73
| par
Hélène Pelletier
Un livre
Habiter le doute
Par
Hélène Pelletier
Le Matricule des Anges n°73
, mai 2006.