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Histoire littéraire Rilke, à risques et périls

juillet 2006 | Le Matricule des Anges n°75 | par Sophie Deltin

Dans ses récits des années 1890, véritable creuset d’une œuvre éprise d’absolu, le jeune Rainer Maria prend la mesure du manque essentiel de la réalité.

Serpents d’argent

Devant la volonté d’idéal, l’existence de tous les jours est souvent démunie, et les idéaux les plus purs risquent bien d’être défigurés une fois passée l’épreuve de la réalité. Non que ne se produisent ces instants où l’Absolu semble être à portée de la main, et Rilke (1875-1926) excelle à décrire ces moments de grâce dans lesquels le Moi, grisé de désir, d’amour ou de bonheur, se plonge avec ravissement. Mais ces états heureux d’harmonie, avec l’Autre, avec soi ou avec le cosmos, sont toujours précaires. Tel est ce basculement tragique, cette chute vertigineuse, que met en scène avec une grande habileté narrative chacun de ces textes en prose pour la première fois traduits dans ce recueil.
Ainsi de « Lison la Rousse », pauvre fille de joie dont les élans de pureté et de rédemption sont diaboliquement saccagés par la luxure d’un prêtre ; ou encore de Claire (« L’Ineffable »), qui, se sentant flouée de ce que le monde ne se trouve pas là où se tiennent ses désirs, qu’il s’agisse de son Noël d’enfance, du premier bal, du mariage puis de la maternité, n’en finit pas de sombrer, à force d’attentes déçues, dans ce puits d’amertume qui bée irrémédiablement en elle… Méprise, désillusion, désenchantement : la réalité, c’est la déperdition, la perte programmée, nous dit Rilke. Foncièrement déceptive, elle agit comme un coup de griffe sur les aspirations, les rêves et les transports les plus sincères, quand ce n’est pas la simple volonté de bonheur. Mais n’est-ce pas le propre du présent que de ne pouvoir jamais tenir les promesses qu’il semblait nous faire lorsqu’il était encore à venir ? À l’image de Babette (« Le Dimanche dont rêvait Babette »), éblouie par l’ardeur de ses sentiments, dont la promesse d’avenir radieux se trouve subitement anéantie par la découverte de la trahison de son amoureux, c’est bien l’empire que l’imagination nous donne sur le temps qui est en question. Car en nous laissant disposer de l’avenir que nous imaginons, elle nous convainc qu’il sera à l’image que nous en attendons. Or, si l’attente exaspère le désir, celui-ci doit finalement s’incliner devant les contraintes ou les aléas de la réalité. Assurément, il y a du rétrécissement, voire du meurtre d’âme dans cette confrontation, à moins qu’à trop redouter l’extinction de l’idéal au seuil du réel, par nature morne, trivial, hideux parfois, on décide délibérément de ne pas en risquer la mise en péril. Tel ce couple (« Deux rêveurs »), qui d’un commun accord et malgré une immense passion, choisit de se séparer préférant l’absence d’accomplissement à la lente mais inexorable délitescence de l’amour. Dans cette nouvelle certes, le renoncement à la réalisation extérieure s’esquisse en filigrane comme une voie salutaire de réconciliation pour qui se résoudra à se recentrer sur soi. Mais si ce changement de conduite (le « non-vouloir-saisir » de l’idéal) est ici envisagé, dans l’ensemble du recueil, le tout jeune Rilke en est encore à la volonté de capture. Si bien que dans cette quête éperdue, le geste, la tentation de la mort reste la seule issue capable d’apaiser l’exigence d’inachèvement et d’enfance une seule et même passion chez l’écrivain autrichien. Comme si quand sonne l’heure de consentir au réel, il n’y avait que la mort, celle de l’autre (« Toinet », « Une sainte ») ou de soi (« Serpents d’argent »), qu’on ne pouvait pas perdre. Dans ce dernier récit justement, d’une poésie toute venimeuse, la mort attire le narrateur comme le feraient les bras d’une mère consolatrice.
Si le bonheur que tutoient les protagonistes s’avère inaccessible, c’est donc que l’homme est invariablement reconduit à sa condition misérable, finie, marqué par la malédiction d’une insuffisance d’être. Et c’est cette « faille », proprement métaphysique, qui le condamne à la douleur d’un impossible « accord parfait ». C’est pourtant aussi de ce creux congénital ce site improbable qui empêche toute coïncidence avec soi que l’écriture de Rilke trouve de quoi nourrir sa tension. Quitte à aimer l’absolu davantage pour ce qu’il refuse que pour ce qu’il offre.

Serpents d’argent
Récits de jeunesse
Rainer Maria Rilke
Traduit de l’allemand
et préfacé
par Pierre Béhar
Éditions Desjonquères
128 pages, 11,50

Rilke, à risques et périls Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°75 , juillet 2006.
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