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Poésie De la vie, de la mort

novembre 2006 | Le Matricule des Anges n°78 | par Marta Krol

Sous couvert d’une fluidité inquiète, les poèmes d’Emmanuel Moses exposent une dialectique déroutante entre l’être et le néant, la présence et l’absence, l’identité et son contraire.

Entre romans, nouvelles, poèmes et traductions, Emmanuel Moses, né en 1959, n’en est pas à son coup d’essai. Son sixième volume de poésie non seulement témoigne de la familiarité de l’auteur avec l’élément littéraire, mais en plus il s’impose, et ce n’est pas courant, comme faisant partie de celui-ci. Si la forme utilisée est souple, et non toujours versifiée, et bien que la question de la poésie, sujet obligé de nombreux écrivants, ne soit jamais abordée, la poésie est ici rendue évidence. La maîtrise du matériau langagier est telle que toutes les techniques utilisées vont à la légèreté, le lightness de Calvino : le choix d’un vocabulaire simple, une syntaxe jamais distordue, l’économie sourcilleuse de mots (notons l’usage ascétique de l’adjectif, malgré quelques « plages vermeilles du silence » ou « sombres fourrés »), la condensation de la pensée en un petit nombre d’images épurées. Cependant, légèreté n’est pas immédiateté : à l’explicitation étale, Moses préfère souvent un cryptage ultraprécis, qui dispose des éléments discrètement signifiants (allée des ifs, filage de la laine…) dans une construction aérienne. Car l’écriture n’est pas un exercice vain, et le lecteur n’a pas à craindre un abus de confiance. Elle s’exerce à cause d’un sens, palpable sinon présent, ne faisant pas de doute en même temps que rétif à la paraphrase : « le chaos nocturne n’est pas chassé/ on a vu ici un renard/ préférer la mort à la lumière/ en tout cas l’histoire circule/ de tablée en tablée ».
Aussi, quelquefois l’écriture se fait-elle transparente et immédiate, on y accède de plain-pied, voilà que d’un seul mouvement, presque comme en prose, tout est lu et compris… si bien que surgit la question du pourquoi de la forme, versifiée et épurée, et qu’une nouvelle lecture s’enclenche à la recherche d’un sens que cette forme poétique exprime mais n’explicite pas. C’est là l’art de grands maîtres, en peinture comme en littérature, de creuser la figuration pour en venir à bout et faire appréhender l’œuvre dans la matérialité opaque de l’objet. Justement, les descriptions sont sans défaut, équilibrées, à la phrase longue et plane, sans à-coups, bénéficiant d’un mouvement de l’extérieur vers l’intérieur, du lointain au proche, et ménageant ainsi vers la fin un subtil rappel d’une présence qui déploie cette vision.
Mais la beauté harmonieuse, quand « La distance joue inlassablement/ son menuet mélancolique », n’est pas la couleur dominante. Souvent on croit retrouver une ambiance de Jean Follain : une vue, un paysage bizarres, dont (fort heureusement) le je ne participe pas, saisis au vif dans un registre présentatif et neutre. Ou alors un genre loufoque à la Michaux, enraciné dans un contexte personnel et événementiel, et coiffé d’une sorte de morale (« tel est le pouvoir de l’habitude ») supposée inscrire d’autorité le loufoque dans l’ordinaire. Et puis il y a ces quelques textes crus dans la violence, écrits à la première personne (je, nous, on) en une prose atone, qui sont des témoignages de bourreaux, obscènes dans le sadisme et la bestialité. On peine à croire qu’il les faut prendre à la lettre. Est-ce une exploration par le moyen du langage de nos pulsions les plus noires, ou au contraire, par une évidemment fausse identification, façon de moquer le discours édulcoré du tout-psychologisant ?
De bout en bout, le recueil est parcouru par un souffle métaphysique, sinon eschatologique. On y rencontre le diable, une danse des morts, un souci d’absolu, une hiérarchie de valeurs, le tout traité sur un ton aussi éloigné de moquerie que de complaisance. L’indicatif présent n’est pas toujours, c’est l’astuce poétique remarquable, porteur de son sens par défaut qui suppose la présence d’un sujet. Il est ici employé par celui qui n’est pas (vivant), ce dont le lecteur s’aperçoit progressivement, et cet angle d’attaque permet une dialectique déroutante entre l’être et le néant, la vie et la mort, la présence et l’absence, l’identité et son contraire. Dialectique qu’incarne un certain Monsieur Néant (qui fait penser à Monsieur Cogito de Z. Herbert, lequel a également exploité le nom de Rovigo) accoudé au bar près de « la toile d’araignée appelée « réalité » », et fort de sa clairvoyance sur celle-ci. La réalité encore, peu arrangeante, entre en conflit avec une conscience, le dérisoire « Petit je », auquel elle devient hostile après lui avoir servi de « cantine continue ». Cependant, elle peut aussi être objet de louange, saisissante : « tu ne connaîtras pas/ les jours de fumée et de givre/ les colonnes d’arbres aux mains levées… » Ailleurs, une sorte de sapience bouddhique conclut à la vanité de toute chose, sans pour autant se laisser à fulminer ex cathedra il ne faut pas rater cette page 112.
Mais point ici d’ennui moralisateur ou de snobisme intellectuel, malgré les allusions bibliques, mythologiques ou historiques. La palette de thèmes inclut aussi la démarche des oies dans un sol trempé, une chanson simplette de chasseur, et même la question (apparente) de constipation, traitée longuement et en toute élégance. Tandis que des noms de villes, de pays et de régions rappellent régulièrement qu’à la trajectoire intérieure, artistique, correspond un cheminement dans l’espace.

Figure rose
Emmanuel Moses
Flammarion
125 pages, 16

De la vie, de la mort Par Marta Krol
Le Matricule des Anges n°78 , novembre 2006.
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