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Domaine étranger Le blues de Wideman

janvier 2007 | Le Matricule des Anges n°79 | par Thierry Guinhut

C’est une tragédie à trois voix, chaotiques et fiévreuses, qu’orchestre l’auteur de « Damballah » dans un ghetto noir de Pittsburg.

Un double traumatisme est à l’origine de l’écriture de John Edgar Wideman. C’est dans Suis-je le gardien de mon frère ? qu’il prêta sa plume à son jeune frère Robert condamné à la prison à perpétuité dans une affaire d’homicide, permettant ainsi à la fiction de remodeler l’événement, de lui donner une portée plus universelle. L’histoire tout entière des Afro-Américains est également sans cesse mise en abyme dans des romans aux accents d’épopée, qu’il s’agisse de L’Incendie de Philadelphie ou du Massacre du bétail. Wideman est en effet natif (en 1941) d’Homewood, quartier noir de la banlieue de Pittsburgh. Et, malgré les honneurs, est toujours resté sensible au destin de cette communauté sacrifiée ses rêves et surtout ses cauchemars. C’est ainsi qu’il forma le projet de sa « trilogie de Homewood » dont le premier volet, Damballah, fut publié en 2004 par Gallimard dans lequel un couple mixte, esclave évadée et fils de bonne famille, fonda dès 1840 une dynastie. Où se cacher en est le deuxième volet, qui, bien sûr, peut se lire indépendamment.
Il s’agit d’une sorte d’oratorio blues à trois voix, un peu à la manière de Deux villes, roman qui opposait Pittsburgh à Philadelphie. Trois solitudes qui n’ont pas ou à peine « où se cacher »… D’abord Clément, le simple d’esprit, avec un « plein sac de saloperies qui lui bouche la tête », ensuite Miss Bess, la vieille qui règne en sa cabane bricolée au sommet du quartier, véritable mémoire féminine et mythique, enfin Tommy, le délinquant récidiviste, accusé de meurtre et traqué. Ces trois voix alternées permettent à la dynamique du roman de se démultiplier parce que faites de souvenirs, de choses entendues, de personnages qui parlent à travers elles : « Moi, mon téléphone, je l’ai dans ma poitrine », répond Bess, inaccessible en hiver, et qui refuse d’abord de cacher celui qui a la police aux trousses. Une arnaque au camion volé plein de « Sony » a dérapé en assassinat ou plus exactement en complicité de meurtre. Il s’agit de son arrière-petit-neveu. La « sorcière » qui ressemble à une « vieille squaw ou un vieux chef » en sa « case d’esclave » se décide à offrir une soupe à celui qui est « doué pour le bagout », et qui laisse une femme et un enfant nommé « Sonny » : « Un sans-cœur de sale nègre qui a tué ce visage de jeune fille ».
Finalement, chacun des protagonistes est une allégorie de la condition noire, oubliée, persécutée et dévoyée : « ça a toujours été une racaille et maintenant c’est un tueur », dit-on de Tommy. Wideman ne juge pas ses personnages ; il se contente de leur donner la parole. C’est ainsi que le rythme jazzy voire rap puisque le livre date de 1981 s’empare du monologue intérieur sans cesse irrigué par la langue de la rue, ses clichés, sa pauvreté. Et cependant c’est grâce à son écriture que l’auteur, reprenant la troisième personne, lui offre toute la force de son expression, sans même un plaidoyer. Car parmi « la lie du quartier » on ne se voile pas la face : Tommy et les autres ont bien conscience de leurs dérives qui leur collent à la peau comme la fatalité à une tragédie.
Voici une œuvre « marquée par l’oralité, imprégnée de la culture populaire noire-américaine », pour reprendre les mots d’Yves-Charles Grandjeat dans son étude sur Wideman, parue chez Belin, dans la remarquable collection « Voix américaines ». Une fois de plus, même si la fin de ce roman est peut-être un peu convenue, fadement moralisatrice, il nous est prouvé que Wideman, dans la tradition d’Eschyle et de Sophocle, est un grand poète tragique, dont le lyrisme contemporain emprunte tour à tour à Faulkner, au gospel et au « blues des cheveuxqu’onpeigne ».

où se cacher
John Edgar
Wideman
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Pierre Richard
Gallimard
240 pages, 17,90

Le blues de Wideman Par Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°79 , janvier 2007.
LMDA PDF n°79
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