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Intemporels Mezza voce

février 2007 | Le Matricule des Anges n°80 | par Didier Garcia

Au lendemain de la Guerre, Paul Gadenne réunit deux anciens amants, pour une longue nuit de paroles. Un roman chuchoté.

La Plage de Scheveningen

Quand le roman s’ouvre, nous sommes en 1944. La Seconde Guerre mondiale s’achève et, s’achevant, renvoie brutalement chaque homme à lui-même, à sa vie, et pour certains à une histoire que les événements avaient provisoirement masquée. Guillaume Arnoult, le protagoniste, est de ceux-là : la Libération annonce pour lui le retour à la réalité. Ses opérations militaires étant désormais terminées, il n’a rien de plus pressant que de retrouver Irène, qu’il n’a pas vue depuis six ans, mais qu’il a passionnément aimée. La retrouver, non pas pour renouer avec elle, mais pour tenter de comprendre ce qui a pu se passer, découvrir ce qui fut à l’origine de leur séparation. Il se livre alors à une véritable enquête, visitant tour à tour quelques vieilles connaissances, qu’il soupçonne d’avoir gardé contact avec Irène. Ses premières investigations ne lui apprennent rien de décisif ; tout juste lui révèlent-elles à quel point chacun a changé.
C’est après une cinquantaine de pages qu’il retrouve sa trace. Les retrouvailles sont laborieuses. Guillaume et Irène doivent d’abord faire l’épreuve de l’altérité de l’autre : « je ne connais plus rien de vous, dit-elle. Je me demande si je ne suis pas avec un autre ». Ils n’en décident pas moins de partir ensemble vers une plage de la mer du Nord qui leur rappellera celle du tableau de Ruysdael (peintre hollandais du XVIIe siècle), La Plage de Scheveningen une toile qui les avait fascinés aux temps heureux de leur union.
Les voici donc dans une chambre d’hôtel, près de cette plage qui n’est pas celle de Scheveningen, même si la lune doit y être la même, et sans doute semblables la clarté, la mer, l’absence de vent. Leurs lits sont séparés, mais après tout peu importe : à quoi bon des lits quand on n’aspire qu’à parler et donner sens au passé ? Leur nuit restera presque blanche. Blanche non pas d’étreintes ni d’élans amoureux, mais blanche parce que saturée de paroles.
Dès les premiers moments du dialogue (chacun hésitant encore entre le « tu » et le « vous »), Guillaume se précipite sur son passé, tente d’y découvrir des signes, des indices éloquents, des souvenirs susceptibles de lui révéler quelle faute il a pu commettre, et rapidement tous les temps et toutes les pensées se confondent. Pour ce qui est de penser, d’y voir clair, il a toute la nuit ; toute la nuit également pour dire ce qu’il n’a pas encore dit, tout ce qu’il n’a pu dire jusque-là, peut-être faute de mots, poser les questions qu’il a tues, qui ont traversé la Guerre et qu’il véhicule avec lui, mais même cette nuit-là, malgré le feu dans la cheminée, malgré la rumeur de la mer, malgré leur longue réclusion, elles ne viendront pas. Il y aura bien des explications, des tentatives de mise au point (souvent avortées par Irène, qui possède un art consommé de l’esquive), des monologues interminables, le retour d’images obsédantes (plus prégnantes semble-t-il que celles rapportées de la Guerre), mais la révélation attendue ne trouvera pas de mots pour se formuler. Il faut dire qu’en pleine nuit Guillaume est percuté par une terrible nouvelle : un poste de radio lui apprend qu’Hersent, un ancien ami journaliste, vient d’être condamné à mort, accusé « d’intelligence avec l’ennemi » (mais Guillaume est formel : s’il a désiré la victoire de l’Allemagne, c’est uniquement parce qu’il en appelait au triomphe de la force). Malgré son désir de faire la lumière sur ce qui l’a séparé d’Irène, il ne peut s’empêcher de penser à Hersent (qui évoque probablement Brasillach), moins dans un souci d’empathie que pour ne pas savoir superposer l’image de son ami et celle d’un condamné à mort, comme s’il s’agissait d’images à jamais inconciliables. Le roman se referme peu après son exécution, évoquée avec une sobriété stupéfiante ; viendront ensuite la mort d’Hitler, la découverte de l’horreur des Camps, et l’annonce du mariage d’Irène…
Dès les premières lignes de ce roman, Paul Gadenne (1907-1956) enlève son lecteur, le plonge sous une puissante coulée de mots, une prose formidablement dense qui charrie davantage de pensées que d’événements. Autant le dire : dans La Plage de Scheveningen, il ne se passe presque rien, à l’exception d’une brève sortie nocturne sur une dune, ponctuée par un retour précipité à l’hôtel. L’essentiel du roman se résume donc à ce huis clos, dans lequel on chuchote, où l’on s’engouffre dans des trouées de silence (le moindre blanc peut suffire à ramener du passé), mais contrairement au huis clos de Sartre, on découvre ici que l’enfer c’est l’homme, en qui cohabitent le bien et le mal : « Nous étions des hommes, et nous découvrions qu’être des hommes, c’était répondre au même nom que nos bourreaux. » À moins qu’il ne s’agisse de la femme, tantôt capable de méchanceté, tantôt capable de tendresse (une femme aux réactions peu prévisibles, semblable en cela à certaines héroïnes de Paul Morand celles de Tendres Stocks ou d’Ouvert la nuit, dont elle n’a d’ailleurs pas à envier la beauté). À moins qu’il ne s’agisse du passé, sur lequel on ne revient jamais vraiment, que l’on peut tout au plus entrouvrir, fouiller, accessoirement feuilleter, mais avec lequel on n’a jamais totalement fini d’en découdre.

La Plage
de Scheveningen

Paul Gadenne
Gallimard,
« L’Imaginaire »
306 pages, 6,86

Mezza voce Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°80 , février 2007.
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