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Domaine français Rêves de pierre

juillet 2011 | Le Matricule des Anges n°125 | par Jérôme Goude

Voyage dans une langue rare, Les Barbares de Jacques Abeille part à la recherche de l’auteur des Jardins statutaires.

À la page 471 des Jardins statuaires, chef-d’œuvre inclassable réédité par les éditions Attila en 2010, un dernier face-à-face oppose le narrateur et le Prince des steppes. Ledit narrateur, fidèle aux traditions hermétiques d’une province menacée de toutes parts, réaffirme son refus de suivre le chef de la horde des barbares dans sa conquête meurtrière, d’être son historiographe personnel. Avant de s’éloigner en poussant un terrible éclat de rire, le Prince lui rétorque ceci : « Tu viens trop tard, homme, voyageur, gardien, sauveur. Tu viens trop tard. Avec le métal que tu quémandes aujourd’hui, nous avons fait des armes. Retourne. C’en est fini de ce monde. » Or, ce monde imaginaire dont Jacques Abeille fut tout ensemble l’architecte, l’ethnologue et le cartographe, où des hommes cultivaient des statues hiératiques, n’a pas dit son dernier mot, sa propre fin. Le Cycle des Contrées, inauguré en 1982 par la première édition des Jardins statuaires (Flammarion), s’était déjà progressivement enrichi des parutions du Veilleur du Jour (cf. Lmda N° 88) et de textes-satellites rassemblés et dans Les Voyages du Fils et, sous l’hétéronyme de Léo Barthe, dans Chroniques scandaleuses de Terrèbre (Ginkgo, 2008). Nouvelle pierre angulaire d’un édifice romanesque insensé, quasi gorgonéen, Les Barbares invite à arpenter la totalité de cet espace littéraire qui, fût-il désormais familier, entraînera le lecteur vers ses origines. Et, peut-être, plus loin encore, à travers l’occurrence du motif de la petite fougère « dressant ses crosses fragiles » dans une cauchemardesque concrétion de pierres, vers une promesse symbolique…  
« Un matin les barbares furent là. » 
Là, c’est-à-dire au cœur de Terrèbre, la capitale d’un Empire que la Grande Plaine des Vignes et le Haut Plateau séparent des domaines des Jardins statuaires. Alors que les nomades guerriers – peuple soi-disant « attardé dans l’enfance cruelle de l’humanité » – s’installent, le pouvoir politique s’écroule, une économie de troc s’instaure. Au hasard des rues d’une ville à l’agonie, des bandes d’enfants rôdent, quand quelques Terrébrins se livrent à la « débauche la plus ostentatoire ». Parmi ce chaos, un citadin « issu d’une famille de petits boutiquiers » se distingue en ce qu’il est le seul à comprendre le dialecte des steppes, le seul à avoir négocié avec Uen’Ord, haut dignitaire de cette société de guerriers, l’inhumation de douze cent trente-sept corps. Maintenu dans l’anonymat, ce jeune professeur en linguistique comparée, traducteur du dernier livre des Jardins statuaires, n’est autre que l’auteur des Barbares. C’est lui en effet qui, longtemps après, raconte pourquoi il fut conduit près du Prince des barbares. Et comment, au gré d’éprouvantes pérégrinations aux côtés d’Uen’Ord, de Félix, « enfant perdu » initié aux arts martiaux, de deux pisteurs, de la femme bleue, sensuelle « visiteuse nocturne », et du Prince lui-même, il prit la « mesure de sa propre ignorance ».
D’abord captif pétri de défiance à l’endroit du Prince – sorte de Gengis Kahn déchu souvent sujet à des accès délirants et dont l’étrange obsession est de retrouver le voyageur-scribe des Jardins statuaires –, notre savant-traducteur cède finalement à la « sommation de l’inconnu ». Fort d’un pupitre de voyage et d’un « plumier de cuivre ouvragé », il confronte son savoir livresque non seulement aux rites sociaux de cavaliers injustement accablés des pires maux, mais aussi, surtout, à l’irrésistible pouvoir de destruction : « À perte de vue le paysage n’était qu’un enchevêtrement de viscères calcifiés sur la terne blancheur desquels mordaient comme une lèpre des lichens d’un gris froid lovant dans les aisselles méandreuses de la roche leurs obscènes friselis. Où que portât le regard, il était happé par l’immobile désordre de la mort. » Rompu à l’introspection poético-philosophique, lecteur avisé du Rivage des Syrtes de Gracq, en mettant nos pas dans ceux d’un nouveau témoin, Jacques Abeille bouscule notre représentation de la barbarie. Aux dires du Prince, les jardiniers, si « fort était chez eux le désir de mort », n’ont-ils pas mis en œuvre la ruine de leurs propres domaines ? Parce que les « hommes ne savent combattre la barbarie, en eux-mêmes d’abord, que par une barbarie plus grande encore », les vaincus ne sont-ils pas toujours les plus civilisés ?
Plus avant, au moyen de phrases qui sont comme des « coulées de verdures toujours plus exubérantes dans leurs empiétements insidieux », Jacques Abeille remonte à la source de sa révélation littéraire initiale pour mieux nous ensorceler. Au-delà de ses nombreuses péripéties – péripéties volontairement tues ici –, Les Barbares révèle ceci que de la terre des Jardins ne sortent plus que des citrouilles, des pois à rames, des artichauts, des tomates et des courges. Des courges, ces légumes ordinaires dont l’observation des formes inspira l’idée originale des Jardins statuaires

Jérôme Goude

Les Barbares
Jacques Abeille
Attila, 550 pages, 25

Rêves de pierre Par Jérôme Goude
Le Matricule des Anges n°125 , juillet 2011.
LMDA PDF n°125
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