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Domaine étranger Nyctalopes

juillet 2011 | Le Matricule des Anges n°125 | par Chloé Brendlé

Dans son premier roman traduit en français, le protéiforme et virtuose Javier Calvo nous plonge dans Barcelone by night.

Les Lunes de Barcelone

Il y a plusieurs manières pour un écrivain d’être pop. Il peut démultiplier jusqu’au vertige infini la galerie des glaces des références musicales, littéraires, culturelles, footballistiques… C’est, au fond, la reprise du vieux truc : la mise en abyme, l’écrivain en Narcisse au bord de sa fontaine d’encre. Il peut noyauter, de l’intérieur, un genre saturé par ses propres codes et son histoire. Avec un titre pareil, Les Lunes de Barcelone, feuilleton du XIXe siècle, au chromatisme peu photogénique mais fort cinématographique : entre rouge sang, noir (de la mélancolie) et blanc (cadavérique). À la lumière artificielle mais tout aussi blafarde du XXIe siècle, Javier Calvo relirait l’Espagne des guerres carlistes, du sceptre de l’absolutisme et du spectre de l’anarchisme…
Écrit par un auteur qui n’est rien de moins que le traducteur espagnol de David Foster Wallace et dont le propre traducteur en français n’est autre que le passeur de Vila-Matas, André Gabastou, Les Lunes de Barcelone n’ont pas fini de surprendre. Elles déclinent d’abord le motif du crépuscule des lieux : « La ville n’a pas émergé de son sommeil médiéval comme une chenille de sa chrysalide. Mais comme un trépané qui s’enfuit de l’hôpital : bras ballants et bave tombant sur le plastron de la chemise de nuit. ». De cachot en catacombes, de bal en tripot, de placard en tombeau, de coche en cauchemar, les pantins grotesques et terriblement présents de Javier Calvo n’ont de cesse de s’agiter : Menelaus Roca, Semproni de Paula, Blai Boamorte, Dado Blokium, Dorotea Sullivan, Aniol Almarrosa… Brutes épaisses, gentilshommes vampires, anatomistes dingos, pauvres diables et démons véritables au nom de marionnettes ou d’olibrius tout juste sortis du formol des siècles. Ne parlons pas des femmes, – seul regret, peut-être –, entre l’éternelle (dé)tourneuse de têtes et de corps, et la créature feu follet. Avec un soupçon d’ironie et une bonne dose de mauvais goût, une pincée de Conan Doyle et un arrière-fond de Poe, du Jack O’Connell ou du Cormac Mc Carthy (selon la sensibilité du palais de chacun), le romancier dose l’horreur, la sueur et le suspens.
Ses phrases sont tantôt courtes, tantôt syncopées, rythmées par des anaphores, subtilement mesurées. Leur pulsation épouse celle des quartiers revisités de Barcelone by night, la calle Riudecendra, le quartier de l’Hôpital, Las Ramblas, la calle de Trentaclaus : diastole – systole.
Tripes, poisons, morve, excréments, catalanes insultes et autres médications sont donc au rendez-vous de ce récit intitulé en version originale Corona de flores (Couronne de fleurs) où l’on cherchera des allusions musicales, avis aux amateurs…
La question que pose d’emblée la forme des Lunes de Barcelone, qu’il s’agisse de pastiche virtuose ou de parodie éclairée, est toujours celle de la portée d’un tel geste de réécriture. Mais emportés que l’on est dans le flot de la narration, il est difficile de n’y lire qu’un hommage ou un exercice de bile. Un peu à la manière dont le western prend dernièrement sa revanche au cinéma (des frères Coen à Kelly Reichardt), le mauvais genre ressuscité ici est un masque derrière lequel repeupler à sa façon la genèse mythique de la modernité (là où True Grit et La dernière piste revisitent l’imaginaire de la nation), et de redire sa fascination pour les mutations monstrueuses d’une ville, les excroissances techniques, l’invasion de l’imprimerie et des feuilles de chou volantes, de ranimer aussi le débat entre le profane et le sacré, la métaphysique et la technologie. Car de cette nuit des morts-vivants sort aussi au moins un siècle…
Peut-être faut-il attendre le déploiement de l’univers de Javier Calvo, qui contient aussi bien Barcelone que Londres, le gothique que le victorien, l’antique que l’ultramoderne, pour mesurer, dans la longue insomnie de la littérature, l’étendue de l’iconoclaste.

Chloé Brendlé

Les Lunes de Barcelone
Javier Calvo
Traduit de l’espagnol par André Gabastou
Galaade, 356 pages, 21

Nyctalopes Par Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°125 , juillet 2011.
LMDA PDF n°125
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