Georges Perros, un homme en partage
- Présentation La vie la plus proche
- Bibliographie Bibliographie
- Entretien Derrière les lignes
- Autre papier En toute amitié, 1
- Autre papier En toute amitié, 2
- Autre papier En toute amitié, 3
- Autre papier En toute amitié, 4
- Autre papier En toute amitié, 5
- Autre papier En toute amitié, 6
- Autre papier En toute amitié, 7
- Autre papier En toute amitié, 8
Il m’arrive de rencontrer, ici en Bretagne, quelques-uns de ceux qui furent, un temps, assez proches de Georges Perros. Certains suivirent ses cours d’ignorance à la fac de Brest. D’autres ont fait des tours de moto avec lui ou ont assisté, en sa compagnie, à des matches de foot de la Stella Maris de Douarnenez. D’ordinaire, ils en parlent peu. Ils restent, à son image, discrets, taciturnes, pensifs, préférant laisser les anecdotes au vestiaire pour ne s’en tenir qu’à l’homme qui les a durablement marqués et à l’écrivain qui n’a jamais cessé de les accompagner. Les deux, à les entendre, ne forment qu’un. Le lire conforte cette évidence. On saisit cela d’emblée. Être et écrire, qui sont chez lui indissociables, ne peuvent néanmoins se concevoir sans éthique, sans morale. Celle-ci a évidemment peu à voir avec des codes sociaux, religieux ou civiques préétablis. La morale, pour Perros, c’est d’abord un devoir envers lui-même, une exigence à tenir vis-à-vis de « cet autre qui est en nous » et avec qui il convient d’être en règle. C’est aussi le chemin à parcourir pour gagner une liberté de parole. Cela demande rigueur, intégrité et maîtrise (de soi, de la langue, de la pensée). Ses notes nous le rappellent fréquemment. Il est exigeant sans pour autant se prendre la tête et placer la barre autrement qu’à hauteur d’homme. Autrement dit, en acceptant, avec humilité et modestie, ce qui forge l’être humain, y compris la bêtise (qu’il voyait comme une commune imperfection, une chance apte à dégonfler tout ego sur-vitaminé) ou la paresse (dont il savait qu’on ne l’accepte qu’à l’issue d’un long travail sur soi).
Perros, « moraliste modeste ». Cela lui va bien. Ça lui est tout simplement naturel. Il est ainsi fait. Vivant au bord de la mer, en milieu souvent hostile. Ne se posant jamais en donneur de leçons. Fréquentant, tout en restant en retrait, des écrivains qui lui ressemblent. C’est un bloc d’humanité. Il connaît les « frontières de l’absurde et de la précarité de notre condition ». Il aime l’échange. Le lisant, on a même l’impression qu’il nous parle en particulier. On ne le sent jamais hautain, arrogant, blessant, péremptoire. Il cherche à comprendre. Questionne. Émet des réserves, des doutes, des désaccords. Réfléchit, écrit, vit et continue ainsi jusqu’à son dernier souffle. Rien ne semble venir enrayer son moteur intérieur. Pas même la maladie… Et pourtant il a dû, j’imagine, se sachant condamner, avoir envie de tout lâcher… Mais il ne l’a pas fait.
Jacques Josse