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Traduction François Monti*

juillet 2011 | Le Matricule des Anges n°125

Providence de Juan Francisco
Ferré

J’ai d’abord découvert Juan Francisco Ferré grâce à son travail de critique : un auteur passionné, comme moi, par les postmodernes américains mais aussi et surtout par ce qu’on peut faire de leur travail au XXIe siècle. Ses romans, et singulièrement Providence, confirment la validité de la démarche. Je pensais commencer à travailler sur son œuvre avec La Fête de l’âne, un roman féroce sur le terrorisme d’ETA, entre Ovide, Goytisolo et Coover. Finalement, nous avons choisi Providence et j’ai cru pouvoir pousser un soupir de soulagement. Si l’espagnol est une langue de longues phrases, celles de Ferré le sont plus encore ; son style, baroque, serpente et n’a que faire de la chronologie. Son nouveau roman me semblait de ce point de vue être un peu plus simple. Les problèmes étaient pourtant nombreux.
Il m’a d’abord fallu prendre une décision sur le temps : Alex Franco, le personnage principal (et souvent narrateur), étant un cinéaste peu porté sur la chose littéraire, était-il raisonnable d’utiliser le passé simple pour reproduire les entrées de son journal ? J’ai opté pour le passé composé, et je pense que c’est pour le mieux. Ensuite, le livre est divisé entre trois parties et chacune a un ton. Il y a un changement d’attitude progressif de Franco. D’abord, il subit et se laisse entraîner, passif, apathique même. Plus tard, il s’implique, vit enfin, réagit puis agit. Au niveau de l’écriture, de la phrase, cette évolution est notable mais légère ; par ailleurs, Franco aime l’ironie discrète et les sous-entendus : il nous laisse régulièrement libre de l’interpréter. Il fallait à la fois préserver la subtilité de cette évolution et laisser le lecteur faire le travail que l’auteur lui demandait – exercice d’équilibre plus difficile qu’on pourrait le croire : le lecteur francophone préfère, je pense, une ironie plus marquée.
Alex Franco est un réalisateur à moitié raté qui accepte un pacte faustien : on lui remet un début de scénario qu’il doit réécrire et terminer ; on lui garantit que le film sera un succès et qu’il obtiendra tout ce qu’il veut. Pour le laisser travailler tranquillement (?) sa bienfaitrice lui obtient un poste dans une université américaine, à Providence. Il y découvrira une réalité – c’est en tout cas ce qu’il croit – cinématographique, une Amérique de l’image et de la fiction, conspiration incluse. Ou peut-être n’est-il que le personnage d’un étrange et futuriste jeu vidéo ? Il s’agit d’un récit fou, instable, entre la confession, le journal intime, la correspondance (électronique) et les fragments de scénario, un roman de campus, de science-fiction, d’épouvante postmoderne, une histoire du cinéma, un manuel pornographique, un traité sur la civilisation de l’image. Tout semble toujours à deux doigts de se déliter sous nos yeux.
Cette variété et cette incertitude permanente impliquent une langue qui change. Deux exemples. Le scénario remis à Franco est basé sur un bref roman russe. Il cherche des infos dans les entrailles d’Internet. Ces pages sont aussi confuses que peut l’être une session Google : on saute de ce que Franco sait déjà (le scénario) à ce qu’il découvre (la description du roman) tout en ouvrant de nouveaux boulevards au questionnement (les analyses sont contradictoires). On passe d’un style universitaire, postmoderne, psychanalytique quand Franco reproduit les théories des experts à une écriture qui lorgne vers la science-fiction soviétique (les frères Strougatski). À la fin de la seconde partie, il y a un chapitre qui pourrait être une nouvelle indépendante : Lovecraft en est le personnage principal ; il est transformé en serial killer qui finit par découvrir que l’horreur est à la maison plutôt que chez l’autre. Bien entendu, la rhétorique de ce texte est purement cthulhuienne. Mais il s’agit dans les deux cas d’un mélange, relu par Ferré, d’idiosyncrasies stylistiques des auteurs imités et des clichés (de l’image) que l’on en a. La patte Ferré est toujours présente ; son empreinte, plus ou moins discrète, pervertit les références. Oui, il a fallu relire Stalker et Dans l’abîme du temps, mais il a aussi fallu s’en abstraire afin de recréer un texte faisant ressortir ces lectures dans un style étranger. La rencontre entre le Lovecraft que nous connaissons et l’écrivain espagnol n’a pas été facile à organiser…
Plus que la littérature, c’est le ciné qui est ici omniprésent. Est-il vraiment possible de traduire ce roman sans voir Providence de Resnais ? Regarder ce film avant même de commencer à transposer le texte en français est peut-être ma plus sage décision : discrètement, tout le roman en est imprégné. Des Dents de la mer aussi, ou plutôt de la lecture qu’en fait par Jameson (et que Franco – ou Ferré ? – réfute). Je ne pense pas que le traducteur doive nécessairement partir à la recherche de la moindre référence. Ici, c’est pourtant presque toujours nécessaire : l’Amérique présentée par Ferré ne se donne qu’en image ; le personnage voit tout en tant que cinéma ; chaque chapitre semble traversé par un cinéaste, un film, une actrice… Même à la dernière lecture, je me rendais encore compte qu’une innocente expression renvoyait en fait à tel ou tel film. Traduire Providence, c’était donc faire le grand écart permanent entre Larry Clark et Wim Wenders, Michael Powell et Robocop. Traduction exténuante, mais un vrai plaisir. Le lecteur de ce livre pas toujours facile, trouvera, j’en suis certain, beaucoup de (bonnes) surprises sur les traces de Franco dans le labyrinthe, dans le palais des glaces de ce grand roman (du cinéma) américain. La couverture de la VO montrait un Lovecraft warholisé : l’Amérique puritaine défigurée par la culture pop. Défigurée et contaminée : Providence est en effet un livre de la contamination du réel par le virtuel. Je crois avoir été atteint : traduisant en parallèle l’essai Homo Sampler d’Eloy Fernández Porta, j’avais au fil des pages l’impression que ce livre me parlait de celui de Ferré. J’espère n’avoir pas laissé l’un contaminer l’autre.

* François Monti est membre-fondateur de la revue en ligne Fric Frac Club et European editor de The Quarterly Conversation. Providence paraît en septembre au Passage du Nord-Ouest

François Monti*
Le Matricule des Anges n°125 , juillet 2011.