C’est d’abord une langue qui nous emporte dès le prologue titré : « la vie est plus vaste ». On entre mystérieusement dans un monde où la vie et la mort ne seraient pas deux choses différentes, où le narrateur s’efface au fur et à mesure que son histoire va être racontée, comme s’il était saisi, sur une pellicule de film, par une surexposition de plus en plus forte. Entrons, puisqu’il nous y invite.
Nous voici sur une presqu’île que domine la masse crépusculaire d’une usine chimique abandonnée après la catastrophe. Ici, vivent ceux de l’Intraville, si c’est vivre que vivre là. Plus loin, il y aurait l’Extraville et plus loin encore il y aurait peut-être le monde ou peut-être rien. Ceux de l’Intraville ne partent pas. Ainsi de Morrison, le policier municipal, le premier à s’avancer au-devant du lecteur. Être falot, tissé de lâchetés accumulées et de résignation, honoré d’un insigne qu’on lui donne en même temps que sa fonction. Il sera le policier d’Intraville, tout entier voué au magnat local, Brian Smith, dont les projets se résument à peu de choses : s’enrichir avec la catastrophe chimique, s’enrichir sur le dos de ses concitoyens. La pollution est telle qu’elle a fait basculer toute la presqu’île dans un univers presque fantastique où « quelques pêcheurs acharnés trouvaient des créatures marines mutantes échouées sur la grève, là où les grands navires étaient jadis chargés de milliers et de milliers de barils contenant on ne savait quoi, et certaines personnes affirmaient avoir vu des animaux bizarres dans les parcelles de forêt restantes, ni malades ni mourants, mais pas bien non plus, la gueule hypertrophiée et le corps enflé, difforme. » Affligé d’une femme dépressive qui sans cesse rêve « de poissons roses mous aux bouches comme festonnées de dentelle », Morrison s’interroge sur le pardon de Dieu, comme s’il n’avait que l’ombre du blasphème pour acte de révolte. C’est qu’il fut le premier à découvrir le jeune Wilkinson pendu à un arbre « ridiculement paré, tel un cadeau au cou et autour du torse et des chevilles, de cheveux d’ange et de langue bande de tissu brillant, semblable à une décoration ou un petit cadeau accroché dans un sapin de Noël ». Le premier d’une série d’adolescents qui disparaîtront chaque année sans que personne ne sache ni où ni comment. Personne hormis Morrison donc, qui fit l’erreur de prévenir d’abord Brian Smith, lequel vit aussitôt combien cette mort violente pouvait contrevenir à ses plans. Ordre est donné au policier de mettre une chape de silence sur cette disparition, le corps sera caché et officiellement chaque disparition sera présentée comme une fugue. Sauf qu’on ne part pas d’Intraville et que personne ne peut croire à des disparitions volontaires. Le roman s’enfonce dans une atmosphère pesante, autant des miasmes chimiques qui rongent la terre, que de cette manière avec laquelle les habitants du lieu baissent les épaules, ou celle avec laquelle Morrison « se campe à la lisière de l’hébétude et du...
Dossier
John Burnside
Éblouissement
octobre 2011 | Le Matricule des Anges n°127
| par
Thierry Guichard
Le cinquième roman traduit de John Burnside sonne comme un opéra tragique et fantastique.
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