Ce titre a été emprunté à une expression du romancier haïtien Jacques Stephen Alexis à qui Lyonel Trouillot dédicace le livre. Dans un grand nuage de sens, elle semble indiquer que le réel est toujours le plus fort et qu’un grand œuvre attend quiconque souhaite entrer en scène, danser au bal, être avec les autres. L’effort à consentir dépend en effet des hasards de la naissance ; que l’on soit blanc ou noir n’est pas anodin ; que l’on soit riche et puissant ou traîne-misère et hors du cadre n’est pas pareil. Pourtant une rencontre est possible, qui tient du hasard et parfois de la nécessité, pour que la belle amour humaine invente une autre vie ; une autre fraternité, des gestes d’accueil, des mots de compréhension, une attention à l’autre. Pour qu’au fond, une réponse claire soit faite à la question centrale du livre : « Quel usage faut-il faire de sa présence au monde ? »
C’est autour de ce questionnement que s’articule le nouveau récit de Lyonel Trouillot. L’écrivain haïtien choisit pour cadre une île des Caraïbes où une jeune Occidentale, Anaïse, revient sur les traces d’un père qu’elle a peu connu. En route vers le village d’Anse-à-Foleur où la conduit son guide Thomas, elle écoute le récit de ce dernier. Il dit l’île, sa face cachée. Elle comprend vite qu’elle ne pourra attendre aucune confidence des villageois et qu’au bout du voyage, elle ne rapportera que des bouts d’histoires du père et que « dans la question relative à l’usage de sa présence au monde se pose aussi celle de la place de l’absent ».
Tout au long de ces pages sensibles et lyriques, Lyonel Trouillot, fidèle à la prose qui fait toute son œuvre, tient le lecteur toujours attentif. Les portraits croisés du grand-père d’Anaïse et de son ami le colonel sont une des merveilles du livre. Dans ce village reculé, il est aisé de comprendre que plus les questions sont rares et plus les chances sont grandes d’obtenir des réponses. « Tu viens chercher la vérité, dit Thomas qui interroge aussitôt Anaïse. Sur quoi ? Sur qui ? Eux, toi, nous, ton père ? Le sable ? La mer ? Ce qui meurt et ce qui demeure ? Ce qu’il faut laisser à l’oubli ? Ou ce que, patiemment, l’on doit reconstituer pour donner un sens à ses pas ? »
Serge Airoldi
La Belle amour humaine
de Lyonel Trouillot
Actes Sud, 160 pages, 17 €
Domaine français La Belle Amour humaine
octobre 2011 | Le Matricule des Anges n°127
| par
Serge Airoldi
Un livre
Par
Serge Airoldi
Le Matricule des Anges n°127
, octobre 2011.