Autopsie du dehors : Carnet d’été d’un relégué sous surveillance électronique
Après plus de vingt ans de prison et une très courte année de semi-liberté en 2008, Jean-Marc Rouillan est enfin sorti du pays du Dedans, le 19 mai 2011. Carnet de bord rédigé à Marseille dix-sept dimanches durant, Autopsie du dehors raconte l’exploration estivale d’un monde redécouvert, celui d’une liberté toute relative : les sorties en semaine – travail aux éditions Agone – se font de 10 h à 20h30, le samedi de 14 à 19 h et le dimanche, interdiction totale de se mêler aux embruns phocéens. Reste l’écriture, puisque le cofondateur d’Action Directe n’a pas le droit de s’exprimer en public ou dans la presse et que « les terroristes (aussi) s’ennuient le dimanche »…
À l’instar de Pessoa, qui avait symboliquement supprimé l’accent circonflexe de son « ô » originel, Jean-Marc devient Jann-Marc, mettant ainsi à l’écart son engagement politique pour mieux privilégier l’écriture, nu devant son ordinateur, bracelet électronique à la cheville, sous la chaleur écrasante de l’été marseillais : « tel un mirage / (sur la mer délavée aux feux du ciel) le château d’if chancelle ». « Déporté intérieur », celui qui connaissait tout de ses congénères de « zonzon » observe la ville et ses passants dont il ne sait rien, manque de se faire écraser par un tramway, se rend dans une librairie qui refuse de vendre ses livres mais pas ceux d’un condamné pour crime contre l’humanité, tente finalement de comprendre le conformisme de ce monde qui a changé et qui a enseveli dans l’oubli les groupes de lutte armée des années 70-80. Évadé du Nada de Manchette qui aurait traversé les décennies sans se prendre de balle policière, acteur de ces années de plomb qu’on n’enseigne pas aux nouvelles générations, Jann-Marc Rouillan se fait le témoin d’une société désormais mondialisée.
Nul pessimisme néanmoins dans ce « carnet de voyage immobile », mais au contraire la chaleur des échanges et des rencontres avec des membres du NPA, de jeunes anarchistes, de vieux maoïstes, de nombreux poètes, des infirmières, des ouvriers, d’ex-taulards, un Grec, une Marocaine, son éditeur… autour des nombreuses bières destinées à surmonter la moiteur de l’été et l’effervescence des nombreuses manifestations auxquelles il participe. Aux souvenirs des leçons de morale écolières, des cafés de sa jeunesse, des criminels de tout genre qu’il a connus en prison (« des gens comme vous et moi (pourtant). et (d’autres) des (vraiment) retors torturés par le désir du crime parfait ») se mêlent les Moody Blues, Trenet, Chuck Berry, Them, Dominique Grange pour la musique, Rilke, Hô Chi Minh, Coelho, Flaubert pour la littérature.
On peut être décontenancé au premier abord par cette écriture qui refuse les majuscules, « forme de hiérarchie inacceptable ! », et les signes de ponctuation faible et moyenne (« les virgules sont des petits chefs tyranniques ! / et… les points-virgules érigent un découpage arbitraire / et autoritaire de la phrase ! »), au profit des points de tout type et d’une abondance de parenthèses – qu’on pourrait pourtant considérer étouffantes et négligentes des mots qui y figurent. Mais, après un étonnement bien légitime face à ce choix typographique, on s’étonne encore plus de le trouver finalement en parfaite cohérence avec une prose tantôt âpre et fumante, tantôt proche et dépouillée, définitivement touchante. Une vingtaine d’illustrations de Marie-Claire Cordat, de sombres et expressives planches dessinées au scalpel et à la lame de rasoir, accompagnent en outre le récit, les errances et les souvenirs de Jann-Marc Rouillan, en soulignant l’hybridité mélancolique des textes alignés tour à tour à gauche et à droite ainsi que les vers rouges, noirs et forcément libres.
Guilhem Jambou
Autopsie du dehors :
Carnet d’été d’un relégué sous surveillance électronique
de Jean-Marc Rouillan
Illustrations de Marie-Claire Cordat
Al Dante, 131 pages, 15 €