La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Égarés, oubliés Eaux dormantes

septembre 2012 | Le Matricule des Anges n°136 | par Éric Dussert

Provençal exilé, Gaston Baissette (1901-1977) a célébré les cabaniers de son enfance et la magie de leur étang.

Au moment où Jacques Yonnet, Robert Giraud et Jean-Paul Clébert concoctent chacun leur grand livre sur les marginaux et la vie populaire de Paris (Rue des maléfices, Le Vin des Rues et Paris insolite) Gaston Baissette a une bonne tête d’avance. Son roman L’Etang de l’or, ouvrage tout à fait virgilien publié en 1946, est destiné à tourner quelques têtes. Celle du poète Yves Martin par exemple, qui n’a jamais cessé de faire l’éloge de ce livre magique – il a connu cinq rééditions depuis, et n’a pas fini de séduire.
Évidemment, ça n’était pas là le coup d’essai de Gaston Baissette, jeune médecin phtisiologue et provençal – il est né à Albi le 14 janvier 1901 – qui, à l’instar du psychanalyste René Allendy était déjà parti à la conquête de Paracelse (Chuzeville, 1933), ou du vitaliste Hippocrate (Grasset, 1931), ouvrage dont Raymond Queneau dit le plus grand bien dans La Critique sociale de Souvarine. On se passionnait beaucoup pour la médecine avant-guerre, la discipline était source d’étonnements et de potions nouvelles, tandis que la science en général rayonnait, remplissant d’images curieuses les magazines. N’empêche, avant 1939, le médecin n’était pas de la petite bière : Céline, Jean Reverzy ou André Soubiran, ce dernier constituant le symptôme final de l’adoration aveugle du peuple pour les mires, pourraient en témoigner. Gaston Baissette ne se contentait du reste pas de la médecine, et à l’instar d’un autre praticien, Jean Girou, auteur des Emmurés de Carcassonne (Le Feu, 1948), il ne se départissait ni de son aire du Sud, ni de la littérature.
Cette dernière démangeait Baissette depuis longtemps puisque à l’âge de 29 ans, il publiait son coup d’essai dans les prestigieux Cahiers du Sud (1930). C’était un roman onirique forgé autour de la figure d’une danseuse, Svea Morgen, et d’un homme énigmatique. Rectifions : la littérature, la Provence et le corps des danseuses…
Inspecteur des services d’hygiène de l’Eure à partir de la fin des années 1930, Baissette va changer de poste au début de la décennie suivante en s’établissant dans les Alpes-Maritimes, puis prend finalement le poste de médecin-chef de l’Office public d’Hygiène sociale de la Seine après la guerre. Passé le goût des premiers lauriers obtenus avec ses travaux d’histoire de la médecine, passée la guerre où il était agent de liaison communiste et membre du réseau Front National des Médecins (il a facilité la vie des intellectuels communistes dans leur vie clandestine, notamment les Aragon lorsqu’ils s’installent à Nice en 1941 ou Eluard au moment où il se cache à l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban-sur-Limagnole), il se préoccupe de sa Provence, celle de mère et de sa grand-mère, celle des maisons aux « vastes dimensions », d’autant qu’il en est loin. Dès la libération, en 1945, il publie chez Grasset une nouvelle prose d’inspiration provençale rédigée pendant l’Occupation, La Clef des sources, un conte philosophique encore trop poétique pour marquer les foules qui réclament du fait et de l’analyse, voire du roman noir. Mais il est tout près du but, que ses amis André de Richaud, Georges Brassens ou le conteur Jean-Pierre Chabrol salueront justement.
Alors qu’il s’occupe quotidiennement de lutter contre la tuberculose – il milite aussi pour l’accouchement sans douleur aux côtés de Fernand Lacaze –, sa vie la plus intime l’amène à réinventer un monde où il fait bon vivre, ce Languedoc de son enfance. Et cette terre noyée d’eau va baigner le plus grand de ses écrits écrasés de soleil.
Publié en feuilleton dans la renaissante revue Europe à partir de mai 1946 (il partage les sommaires avec Aragon, Aveline ou Léon Werth), L’Etang de l’or atteint d’emblée le statut de livre admirable – « magique » s’exclame le critique Albert Béguin –, avant de paraître en volume à La Bibliothèque française, maison d’édition d’Aragon et d’Elisa – et d’obtenir dans la foulée le prix International de la Guilde du Livre. « Chacun porte un village dans son cœur. Je porte le mien, c’est Melgueil. » Gaston Baissette l’explique d’emblée, c’est ce territoire d’enfance des Cabanettes, situées à la Pointe de Salaison sur la commune de Mauguio (Hérault), qui inspire son reportage « sentimental » envoûtant, si beau et confortable au lecteur et cependant tellement plein de pièges – les sables, la torpeur des canaux sans fin, l’amour… « La nature ici n’a rien trouvé d’autre, pour atteindre un des modestes bouts de l’Europe, que cette lagune délaissée, avec au fond, la ligne étincelante du lido qui souligne de son dernier trait la fin-des-terres, au-delà de quoi, sans marées, s’impose la grande mer du-milieu-des-terres. (…) Les cabanes de Melgueil ou de Salaison, c’était tout ce qu’on voulait en fait d’abris, des cabanons, des cabanettes, de pauvres bâtisses de briques ou de pierres, de simples maisons, des habitations inhabitables, des refuges que la fantaisie des pêcheurs ornait de filets, de nasses, de violons à anguilles. »
Entre mer et garrigue, un monde plein du terrible mystère des eaux dormantes fascine encore, même si Jean-Pierre Chabrol fut déçu dans sa recherche des lieux précis cinquante ans plus tard : « tout est chamboulé à travers les autoroutes, les grandes surfaces et le mas du Grand-Travers a perdu pour toujours sa solitude au pied des pyramides de béton. Aujourd’hui, on sait hélas ce qu’on a perdu, pauvres couillons mes frères ! Nos étangs sont verticaux sur les écrans de télé ! »
Gaston Baissette, le « Grand Maulnes languedocien », n’aura jamais vu le désastre, et c’est tant mieux. En 1975, Ces grappes de ma vigne est adapté au cinéma par Alain Quercy, mais plus de trace des « cabaniers », de « Cabussole, de Cabrel, de Bitrouillet, de Pentelisse et d’Olive, de Singer, de Boulou, et surtout, de Pitié qui téléphonait aux étoiles, une vielle casserole tenant lieu d’appareil ». À l’heure où les calanquiers d’aujourd’hui sont chassés par la police, il est sans doute bon de se rappeler que la liberté ne s’use que si l’on ne s’en sert pas. Finis les cabaniers, finies les calanques… Il faudra pousser plus loin pour pratiquer l’inconnu.

Éric Dussert

Eaux dormantes Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°136 , septembre 2012.
LMDA papier n°136
6,50 
LMDA PDF n°136
4,00