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Intemporels Chastetés nocturnes

avril 2013 | Le Matricule des Anges n°142 | par Didier Garcia

Prix Nobel 1968, le Japonais Kawabata (1899-1972) explore et stimule la libido des vieillards. Pour aller au-delà du plaisir.

belles endormies

Quelque part dans un Japon réduit au seul rôle de toile de fond (il y a des montagnes, et la proximité de la mer, dont Eguchi, le protagoniste du récit, perçoit la présence sonore à défaut de pouvoir la voir), une maison close d’un genre particulier accueille pour la nuit des « clients de tout repos »  : de vénérables vieillards.
L’établissement propose un concept innovant et plutôt original : offrir à de vieux messieurs de passer la nuit aux côtés d’un corps féminin plongé dans un sommeil artificiel. Dans la mesure où ils ne sont plus capables de satisfaire sexuellement la moindre femme, les jeunes filles sont préalablement endormies à l’aide d’un puissant narcotique : elles dorment déjà lorsqu’ils les rejoignent et dorment encore quand ils les quittent le lendemain. Ils n’ont donc jamais à rougir de leur virilité perdue.
C’est sur les recommandations de son vieil ami Kiga, et sans doute un peu aussi par curiosité qu’Eguchi franchit le seuil de cette maison singulière. À proprement parler, Eguchi n’est pas un vieillard : à 67 ans, il peut encore se projeter dans l’avenir et « se comporter en homme » auprès d’une femme. Mais à l’intérieur du temple, que régit un ensemble de lois tacites, l’âge n’est rien face à la toute puissance du désir. On se demande d’ailleurs si le protocole à respecter (avec une hôtesse peu philanthropique) avant que d’accéder à la chambre, où se trouve déjà une belle endormie, n’est pas uniquement destiné à faire monter le désir.
Au cours de cette première nuit, Eguchi découvre que sa jeune compagne est vierge, et met le silence à profit pour réfléchir aux motivations réelles des autres clients. Que viennent-ils chercher dans cette maison ? Chacun se comporte-t-il en gentleman envers ces jeunes femmes sans défense ? Au début de la soirée, l’hôtesse lui avait confié : « Il y a des clients qui disent qu’ils ont fait de beaux rêves pendant qu’ils dormaient. Et d’autres que ça leur a rappelé le temps de leur jeunesse. »
Quinze jours après cette première expérience, Eguchi récidive. Cette nouvelle séance lui permet de mieux observer le corps féminin que l’on a drogué pour son seul plaisir, et d’admirer ses innombrables beautés : le galbe d’un sein, le dessin des lèvres, la couleur et le parfum de la peau. À ce corps, il ne manque guère qu’une voix, qu’Eguchi rêve de pouvoir surprendre.
Mais en l’absence de jeux érotiques, le lit devient un lieu de méditation. Avant qu’il ne s’endorme (à son tour poussé vers le sommeil par un somnifère), les souvenirs affluent. Il a le temps de se remémorer quelques moments de sa vie et de revoir virtuellement les femmes qui ont compté pour lui : des conquêtes d’un soir bien entendu, mais aussi sa femme, et jusqu’à ses filles, comme si une seule femme contenait toutes les autres.
Au total, peu de péripéties, et cinq chapitres pour autant de nuits passées en charmante compagnie (durant la dernière, alors qu’il cherche le sommeil entre deux corps féminins, la fête est brusquement gâchée par la mort d’une des filles) : le moins que l’on puisse dire de ce récit est qu’il ne brille pas par la richesse de son intrigue. Il faut également reconnaître qu’il a quelque chose de dérangeant (à tout moment le lecteur s’attend à ce qu’Eguchi commette des actes vils). Mais il est beaucoup moins malsain qu’on ne peut le craindre au début, quand on s’imagine que ce client encore jeune va laisser ses fantasmes s’exprimer. Jusqu’aux dernières pages, on redoute quand même d’avoir à rougir des divertissements libidineux de la vieillesse et d’assister en voyeur à de pitoyables spectacles.
Heureusement, il n’en est rien. C’est toujours plein de pudeur – une pudeur authentique, jamais feinte. Ni dans les gestes d’Eguchi, ni dans les mots qui servent à décrire le corps féminin, vous ne trouverez la moindre vulgarité. Tout se passe d’ailleurs sans le moindre rapport sexuel, et les gestes n’ont rien d’obscène. Dans les faits, ces cinq nuits demeurent propres et chastes. Pour les désirs d’Eguchi, il en va bien sûr autrement : à plusieurs reprises, cet homme encore vaillant rêve de transgresser les lois de la maison, d’autant qu’elles sont tacites et que personne ne viendra témoigner contre lui. Mais à chaque fois sa conscience morale ne le laisse pas abuser de cette jeunesse sans défense que rien n’a encore souillée.
Difficile de formuler une opinion définitive sur ce livre (publié en 1961) qui cultive les contradictions : il séduit à peu près autant qu’il dérange, nourrit et frustre à la fois ; et même ses phrases, toujours bien coiffées (pas un cheveu qui dépasse), peuvent charmer le lecteur ou au contraire l’agacer. Le mieux serait encore de le tenir pour une méditation sur le désir masculin à l’automne de sa vie, et d’y lire la démonstration qu’il existe pour l’homme des voluptés plus subtiles que le seul plaisir de la chair.

Didier Garcia

Les Belles endormies
Yasunari Kawabata
Traduit du japonais par René Sieffert
Le Livre de Poche, 128 pages, 4,60

Chastetés nocturnes Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°142 , avril 2013.
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